RETROUVAILLES

 

 

Un matin d'hiver, le jour se levait à peine. Le téléphone sonna, c'était la police. Je me rendis à l'hôpital, à la morgue, dans une pièce froide en température aussi bien qu'en aspect. Un homme en blanc, blouse anonyme et autoritaire, me demanda mon nom et la raison de ma venue. Je lui dis que je venais reconnaître le corps de ma femme. Il appela aussitôt un flic en faction au fond de la salle. Il avait une sale gueule et mauvaise haleine.

Ils me conduisirent vers une sorte de tiroir métallique comme ceux que l'on voit dans les feuilletons américains. Ils l'ouvrirent et se retirèrent de quelques mètres. Je me tournais vers le flic, ne sachant que faire car le corps que j'avais devant moi était couvert d'une sorte de bâche en plastique opaque. Comme il ne semblait pas vouloir intervenir, je découvrais le cadavre d'un geste un peu brusque. La bâche tomba bruyamment sur le carrelage de la salle silencieuse et réverbérante. Je reconnus du premier coup d'oeil le corps de Sophie. Il était encore humide des eaux noires du marécage. Des feuilles rousses s'étaient collées sur la peau molle et blanche. Un fatras de boue et de débris emprisonnait ses cheveux dans une gangue devenue dure. Sa bouche aux lèvres pales était entrouverte et on voyait le bout de sa langue rigide et bleue. Une trace verdâtre barrait son front, un impact brutal. La boîte crânienne avait éclaté, on devinait la fracture, la dislocation, sous la chair dure et tendue. Les yeux étaient devenus comme deux glaçons. Bleus, froids, inégalement ouverts dans une mimique presque comique. J'ai esquissé un sourire, il y avait longtemps que Sophie ne m'avait pas fait rire, mais je me contrôlais de mon mieux pour prendre un air affligé, juste au cas où le flic m'observerait.

Elle avait un corps superbe, fin, pur, je l'avais tellement imaginé pendant toutes ces nuits passées prés d'elle sans pouvoir la toucher. Elle était devenue de plus en plus distante et dure alors qu'elle était toute entière faite pour l'amour. Depuis notre mariage, son mépris n'avait fait que grandir, tous ses gestes semblaient le confirmer. Elle avait des amants, des types vulgaires, des sportifs. Rien dans la tête, mais sûrement de vrais mâles qui mettent leurs sales pattes partout. Elle me méprisait pour cela aussi, parce que je la laissais faire et que je tolérais son infidélité. Elle m'avait provoqué avec des cassettes vidéo de ses ébats extra conjugaux, elle m'avait fait mal.

Je comprenais bien qu'elle interprétait mon comportement comme un manque de courage, un manque d'amour. Mais je l'aimais et je crois qu'elle m'aimait aussi, peut-être même un peu trop. Elle m'avait craché au visage, elle aimait le théâtre.

A présent, elle était là, devant moi, comme offerte.

Qui pouvait bien l'avoir tué et pourquoi ?

Des dizaines d'hommes avaient des raisons de lui en vouloir mais quelqu'un avait il donc plus de griefs que moi à son égard ?

J'étais son mari, cela me donnait il un quelconque supplément de droit ?

J'avais souvent rêvé sa mise à mort comme une délivrance, comme une main secourable la stoppant dans sa descente aux enfers. Je le savais, elle souffrait autant que moi, elle ne pouvait plus s'arrêter, elle voulait boire jusqu'à la lie.

Je penchais mon visage sur elle pour une dernière fois connaître sa bouche. Elle sentait la vase et la putréfaction. Une main se posa sur mon épaule, me retenant. Le flic était prés de moi. Il me regarda les yeux pleins de larmes et couvrit le corps.