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Poursuite
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Escalier, arrière cour, porche sombre et porte cochère obscure, couloir pavé, galerie secrète au coeur de la ville, rue déserte en plein ciel, à droite, à gauche, suivre la rive jusqu'au bout, monter, descendre, il ne me lâche pas, il est toujours derrière moi, il me talonne, ne me perds pas de vue. Ruelle, escalier de pierre, escalier de bois, escalier de fer et je suis sur les toits. Cheminées en troupeaux, cheminées innombrables, comme un funambule au sommet des toits. Est-il encore derrière moi ? A t'il pu me suivre dans ce dédale ? Comme le monde des toits est beau, propre, sécurisant. Au dessus de la vie, ne voyant jusqu'à l'horizon que des toits, j'ai l'impression d'être dans un désert. Seul avec les oiseaux et quelques chats qui sont les maîtres de ces lieux. J'entends comme un bruit souterrain, circulation, rumeurs et cris, autant de signes qui restent anonymes. Ce monde et celui d'en dessous n'ont que peu de rapports. Le second a engendré le premier, et c'est tout. Ici, c'est le territoire du ciel, de la paix, des non-êtres et du silence à peine troublé par ce chuintement semblable au bruit de la mer. Escalier de secours, descente vers le brouillard des rues, vers le bruit des rues, vers la crasse des rues. Il a sûrement perdu ma trace, mais j'ai le coeur qui bat. Peut-il seulement perdre ma trace ? Ne sait-il pas toujours où je suis ? Autant vouloir échapper au temps ou à son destin. Mes circuits secrets en passant sur les toits, il les connais par coeur. Il n'est pas dupe de mon manège. Il me connait mieux que moi-même. Il sait ce que je vais faire avant même que j'ai l'idée de le faire. Il me regarde, il m'analyse. Il est si prés de moi. Pourquoi est-ce moi qui regarde par ces yeux, qui parle par cette bouche ? Ce pourrait être lui, je le sens tellement plus fort. Il n'agit pas, il ne fait rien. Mais il n'est pas passif pour autant, il me juge. Il s'amuse de moi. Il s'amuse de mes petites idées, de ma belle jambe, de ma mesquinerie, de ma superficialité.Il se consterne devant mon ignorance, ma bêtise, mon orgueil. Il rit. Il rit de moi. Et le plus souvent, il a raison.
Je m'engouffre dans une porte en faisant un crochet brusque qui surprend les passants. Je monte quatre à quatre escaliers sur escaliers, de plus en plus étroits, de plus en plus hauts. Je reviens sur les toits, ma planche d'envol, mon salut, mon éther infini, mon oubli. La nuit tombe, il y a quelques étoiles. Il est de nouveau prés de moi. Mon bourreau, mon frère, mon ennemi, mon confident, mon tortionnaire, mon ami.
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