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Maisons et jardins d’enfance
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Souvenirs inventés... |
C’était l’écurie d’un ancien prieuré dont il ne subsistait rien de visible. Les murs étaient lourds, à la manière des moyenâgeux qui ne voulaient bâtir que pour l’éternité. Mon père, amateur d’histoire, avait gravé sur une épaisse pièce de bois : « L’écudorio » , et nous mettions un point d’honneur à respecter la prononciation Occitane qui convenait au nom de baptême de notre demeure. Elle était pourvue d’une cave obscure et mystérieuse, avec sa réserve de patates et de vin, et aussi d’un grenier ou s’entassaient les souvenirs de trois générations. J’ai connu l’angoisse de la descente à la cave et les délices de l’exploration archéologique du grenier. Avec ma sœur nous partagions une chambre au premier, celle qui donnait sur l’impasse. La cuisine était vaste. C’était la pièce maîtresse de la maison où se déroulaient presque toutes les activités familiale. Il y avait une cuisinière à charbon et son grillon, surmontée d’une ancienne hôte de cheminée sur laquelle s’alignaient des boites en faïence de la plus grande à la plus petite : sel, sucre, farine, café, thé, poivre, allumettes. Une vieille armoire servait au rangement des ustensiles, suspendus ou empilés dans un ordre que je ne pourrais jamais oublier : la grosse casserole pour faire bouillir le lait, et juste au dessus à droite, la boite à sucre en fer blanc décorée d’une scène naïve que j’ai passé des heures à examiner. Le sol était couvert de carreaux rouge-brique, souvent ébréchés,
que j’avais la charge de balayer après chaque repas. Le jardin comportait différentes zones non délimitées mais parfaitement distinctes. C’était une sorte de cohabitation d’ordre : des plate-bandes minutieusement entretenues, et de confusion : des territoires en friche, faussement abandonnés à la nature. Ma grand-mère, femme de la terre, était à l’origine du potager et mon père, rêveur et poète, des zones apparemment négligées. En réalité, mon père , en paysagiste avisé, organisait grossièrement puis laisser l’ordre du monde reprendre de larges droits. J’avais ainsi à la disposition de mes heures de jeu et de dérive contemplative, deux approches opposées et complémentaires de l’instrumentalisation du végétal, qui correspondait bien à mes états d’esprit successivement scientifiques et littéraires. J’étais admiratif de la science potagère de ma grand-mère, de ses gestes courts et précis, de sa patience-car pour moi les échéances semblaient aussi lointaines que le prochain siècle-, des précautions de son arrosage, des soins permanents pour sarcler, attacher et réaliser les milles attentions minuscules garantissant la bonne récolte. J’observais l’organisation des rangs, des semis, des passages et j’y voyais comme une allégorie d’un ordre parfait que nous, les hommes, nous allions imposer au monde. Dans la tranquillité de ce jardin, seulement troublé par les mille bruits d’une vie grouillante, je pouvais à loisir éprouver ma jeune conscience en m’émerveillant du mystère du monde et en mystifiant tout ce que semblait inexplicable et délicieusement effrayant. Un endroit retenait particulièrement mon attention, celui de la mare. Des arums et des joncs poussaient sur les rives, ainsi qu’un saule pleureur dont la forme stimulait mon imagination. Sa tristesse me touchait et j’avais lu une histoire qui donnait l’origine de cet arbre étrange et romantique : c’était une princesse morte d’amour après la perte de son prince charmant victime d’une affreuse sorcière. Il avait un énorme tronc, tout tordu et à moitié sec, dont le cœur avait disparu laissant un trou béant qui descendait verticalement jusqu’au pied de l’arbre. Après quelques contorsions, je pouvais me blottir à l’intérieur, étroitement ajusté aux parois de bois. Je restais ainsi, le visage tourné vers l’ouverture qui ne m’offrait que le spectacle des branches mollement agitées sur fond de ciel. J’écoutais les bruits du jardin, les conversations des insectes et des oiseaux, et j’étais certain de surprendre tôt ou tard une entrevue secrète de créatures magiques dont seul un arbre pouvait être le témoin. Souvent, l’été, une sorte de torpeur s’emparait de moi, un engourdissement diffus, une molle rêverie, un abandon serein dans le sein de cet arbre magique à la longue chevelure féminine. J’aimais aussi descendre dans le puit, malgré l’interdiction parentale. Il y faisait froid, ça résonnait et surtout ça impressionnait les filles qui poussaient des gloussements admiratifs devant ma témérité. J’ai grandi. Au cours d’un printemps un essaim d’abeille s’est logé dans le creux de l’arbre. Elles bâtirent leurs rayons de cire et colmatèrent solidement à la propolis le plus petit interstice. Ca n’avait plus d’importance, j’étais devenu trop gros pour passer par le trou. Jle
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