La fente dans le mur

 

en hommage à Jean RAY

Il y avait peu de temps que nous vivions dans la maison lorsque je découvris la fente. Elle se trouvait contre le mur du fond du grenier. Son aspect me frappa tout de suite. Elle était parfaitement rectiligne, comme découpée dans le mur avec un rayon laser. Verticale, elle montait jusque sous la poutre maîtresse de la maison.

Sur le coup, je fus étonné de ne pas l'avoir remarqué plus tôt, j'avais dû la prendre pour un joint de dilatation. Elle semblait profonde et menaçante, trop propre pour être une simple et vulgaire lézarde. Je m'approchais et en l'examinant, je glissais mes doigts à l'intérieur. Les arêtes étaient tranchantes et je sentais les parois lisses et glissantes comme un miroir. A ce moment, il me sembla voir un éclair, juste une étincelle au bord de mon champ de vision, au fond de la fente. Je me trouvais dans une zone sombre à cette heure de la journée et par conséquent la lumière n'était pas due à un reflet. Il se pouvait que la fente débouche sur l'extérieur, bien que mon examen des façades ne vérifiait pas cette hypothèse. Je hasardais un coup d'oeil plus profond en appuyant mon front contre le mur.

Ce que je vis me fis reculer d'effroi.

Rien. Je n'y vis rien.

Quand je dis cela, c'est pour exprimer la sensation de gouffre, de néant qui s'imposa à moi. La fente n'était pas simplement sombre. Je ne saurais dire ce qui produisait cet effet. Le regard glissait entre les parois lisses, basculait brusquement dans le vide. Le vertige, c'est cela, cette fente donnait le vertige. Je tentais plusieurs fois l'expérience, espérant une accoutumance qui ne vint pas. J'allais chercher une lampe de poche prés de l'escalier et je braquais le rayon lumineux dans l'étroit orifice. Rien ne semblait pouvoir en rendre l'intérieur visible. Je pris la résolution de ne pas me préoccuper de cette fente sans signification qui me troublait tant sans raisons particulière. J'étais totalement ignorant des méthodes de construction et je me reprochais cette méfiance débile et sans fondements. Un ami, plus avertit que moi en maçonnerie me donnerait sûrement des explications techniques en prenant un ton paternel. J'oubliais mes frayeurs. Quelques jours plus tard, ma femme fit, à son tour, l'expérience de la fente. Elle m'appela du fond du grenier, sa voix était stressée. Parvenu en haut de l'escalier, elle me prit vigoureusement par la main et m'entraîna à sa suite. Je compris aussitôt les raisons de son trouble. Une vive lumière solaire pénétrait dans le grenier par la fente. Une tranche compacte de lumière s'allongeait sur le sol poussiéreux alors que dehors la nuit était déjà noire. Nous approchâmes lentement. Un souffle chaud nous parvint, ainsi que la bonne odeur d'une campagne étouffante de canicule. Je risquais un coup d'oeil à distance. Les parois du mur ne faisait qu'un petit centimètre d'épaisseur. Au delà, une immense campagne paisible s'étendait. On entendait le bruit des grillons et des enfants jouaient dans l'eau d'un étang proche. J'ai oublié de dire que notre maison se situe au centre ville. Ma femme me rejoignit et nous restâmes pétrifiés, autant qu'émerveillés, devant ce spectacle et notre perplexité était décuplée lorsque soudain la fente redevint sombre et silencieuse. Ma femme sursauta de surprise. Il ne se passa plus un jour sans que nous parlions de la fente. Elle était devenue le centre de nos pensées et de nos conversations. Nous avions beau réfléchir et tourner, retourner l'affaire en tous sens, aucunes explications ne pouvait nous rassurer. Un phénomène optique semblait hors de question me perdis dans des conjectures surréalistes qui affolèrent ma femme et nous plongèrent dans une période de mésentente. Un ami vint dîner quelques semaines plus tard. Nous parlâmes de divers sujets. La conversation s'orienta sensiblement sur les illusions d'optiques, les hologrammes, les mirages et toutes sortes de phénomènes surprenants que mon ami paraissait connaître parfaitement. Je décidais de lui montrer la fente. Parvenu dans le grenier, il s'approcha du mur et examina, un peu déçut, ce que nous lui avions décrit comme un phénomène. Il se retourna vers nous pour sans doute faire quelques remarques. Se trouvant de dos au mur, nous le vîmes se déformer et lentement disparaître dans la fente. Aspiré.

Ma femme fit une dépression nerveuse. La disparition de notre ami, l'enquête de police, notre faux témoignage, la présence de cette monstruosité sous notre toit la jetèrent dans un abîme de tristesse et d'effroi. Elle fît une cure de repos pendant laquelle je vendis la maison. Nous changeâmes de ville, de vie, d'amis. Aujourd'hui, ma femme a oublié la fente, dix années sont passées sur ces événements. Notre vie est, depuis, normale et sans histoires. Pourtant, ce matin, j'ai trouvé dans la boite aux lettres, une carte postale sans timbres, de notre ami défunt. Il y dit qu'il va bien, qu'il est vivant et heureux et qu'il nous embrasse. J'aurais pu croire à une minable plaisanterie de mauvais goût si cette carte n'avait représentait un calme paysage de campagne, l'été, avec un lac et des enfants.