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ARIANE
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Avec mémé Ariane, c’était toujours le même cérémonial. Nous lui faisions une visite dans sa chambre a l’hospice avant de prendre l’air dans le vaste parc qui entourait l’édifice. Après un petit quart d’heure de voiture, pendant lequel les gosses faisaient une foire d’enfer sur la banquette arrière, nous arrivions à l’hospice. C’était un havre de paix dans un splendide cadre de verdure ou j’aurais bien passer quelques vacances. La longue progression dans les couloirs déserts, chargés d’une odeur d’hygiène malsaine et nauséabonde. Mémé Ariane était presque sourde, il fallait faire preuve d’imagination pour ne pas la surprendre et lui faire peur. Après une volée de coups sur la porte, une rafale qui résonnait à l’infini au long des couloirs, nous entrions dans la petite chambre obscure. Ariane s’offrait à nos yeux, le plus souvent dans les plus intimes occupations ou bien dormant, assise dans son fauteuil, la tête penchée en avant, presque morte. J’entrais toujours le premier et Lucie retenait un instant les enfants. Après un examen de nos visages, elle nous faisait un accueil digne de rois, agitant ses vieilles iambes pour nous donner un siège. Nous parlions un moment des ”nouvelles" et elle, nous écoutant à peine, nous répondait par les « affaires » toujours dramatiques de l’hospice. Après une petite demi-heure de ces monologues, elle nous racontait un des épisodes marquants de sa longue vie. Souvent les mêmes, mille fois répétées, à quelques détails prés. Puis après avoir un peu pleuré sur mon père, sa vie, ses regrets, elle nous faisait le coup de la pièce" comme disait ma femme. Elle allait chercher dans un recoin de son placard, une vieille et précieuse boite. Après un rapide étalage de ses richesses, elle nous faisait le don princier d’une pièce de cinq francs, nous la tendant du bout des doigts avec un air de bonté qui faisait fondre mon cœur. Elle n’avait plus la moindre idée de la valeur de l’argent et pensait nous faire un cadeau de valeur. Lucie, impatiente, avait du mal à contenir son mépris. Moi, je l’embrassais en la remerciant pour son intention, visiblement sincère, de nous donner le peu qu’elle possédait. Après cette cérémonie pendant laquelle les enfants ne daignaient même pas se calmer une seconde, nous faisions les adieux pour de nouvelles larmes et des baisers passionnés et tremblants. La porte se refermait sur la chambre sombre, presque une tombe. Je refermais moi même le couvercle, la mort dans l’âme, mais presque avec soulagement et le sentiment hautain du devoir accompli. Je refermais la porte sur ma mère et je partais loin du pays des morts avec les vivants qui me tiraient par les manches. Avec mémé Ariane, c’était toujours le même cérémonial. Nous lui faisions une visite dans sa chambre a l’hospice avant de prendre l’air dans le vaste parc qui entourait l’édifice. Après un petit quart d’heure de voiture, pendant lequel les gosses faisaient une foire d’enfer sur la banquette arrière, nous arrivions à l’hospice. C’était un havre de paix dans un splendide cadre de verdure ou j’aurais bien passer quelques vacances. La longue progression dans les couloirs déserts, chargés d’une odeur d’hygiène malsaine et nauséabonde. Mémé Ariane était presque sourde, il fallait faire preuve d’imagination pour ne pas la surprendre et lui faire peur. Après une volée de coups sur la porte, une rafale qui résonnait à l’infini au long des couloirs, nous entrions dans la petite chambre obscure. Ariane s’offrait à nos yeux, le plus souvent dans les plus intimes occupations ou bien dormant, assise dans son fauteuil, la tête penchée en avant, presque morte. J’entrais toujours le premier et Lucie retenait un instant les enfants. Après un examen de nos visages, elle nous faisait un accueil digne de rois, agitant ses vieilles iambes pour nous donner un siège. Nous parlions un moment des ”nouvelles" et elle, nous écoutant à peine, nous répondait par les « affaires » toujours dramatiques de l’hospice. Après une petite demi-heure de ces monologues, elle nous racontait un des épisodes marquants de sa longue vie. Souvent les mêmes, mille fois répétées, à quelques détails prés. Puis après avoir un peu pleuré sur mon père, sa vie, ses regrets, elle nous faisait le coup de la pièce" comme disait ma femme. Elle allait chercher dans un recoin de son placard, une vieille et précieuse boite. Après un rapide étalage de ses richesses, elle nous faisait le don princier d’une pièce de cinq francs, nous la tendant du bout des doigts avec un air de bonté qui faisait fondre mon cœur. Elle n’avait plus la moindre idée de la valeur de l’argent et pensait nous faire un cadeau de valeur. Lucie, impatiente, avait du mal à contenir son mépris. Moi, je l’embrassais en la remerciant pour son intention, visiblement sincère, de nous donner le peu qu’elle possédait. Après cette cérémonie pendant laquelle les enfants ne daignaient même pas se calmer une seconde, nous faisions les adieux pour de nouvelles larmes et des baisers passionnés et tremblants. La porte se refermait sur la chambre sombre, presque une tombe. Je refermais moi même le couvercle, la mort dans l’âme, mais presque avec soulagement et le sentiment hautain du devoir accompli. Je refermais la porte sur ma mère et je partais loin du pays des morts avec les vivants qui me tiraient par les manches.
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