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La lumière monte lentement, deux personnages sont présents sur la scène. Les choeurs sont invisibles, ils semblent venir d' en haut. Le premier personnage: A s' exprime d' abord. Chœurs : « Ici et maintenant »
Je voudrais rassembler dans un improbable chaudron cérébro-cosmique les multitudes d’ingrédients de la soupe primitive. Je voudrais les porter au noir puis au rouge et faire jaillir la lumière d’or d’une conscience multicolore. Choeurs: « Œuvre au noir dans le chaudron de l’être » Je voudrais
que vous soyez hors du contrôle écrasant de
ceux qui vous entoure, de vos amis, des médias, du marché,
de l’éducation, de tout ce que vous pensez savoir, de tous
les slogans, de tous les mots d’ordre, de vos certitudes aussi
dures que l’acier, de la morale si profondément enkystée
dans votre chair qu’elle vous tort et vous broie. Je vous veux nus et vierges, purs, attentifs et innocents, libres et heureux.
Saurai-je y parvenir ? L’instant
magique et magnifique. A et B, l'un après l'autre, très vite.
A- Peu importe, l’important c’est d’aimer… de temps en temps. Comme dans ces précieux instants, je veux toucher les mécanismes secrets, la matrice invisible. Je veux m’enfoncer comme l’eau, dans les strates les plus profondes, les plus interdites, les plus primitives, au-delà obscur où se confondent encore l’objet et le sujet. Lieu d’ombrement, de confusion et de révélation. Je serais l’alchimiste qui plongera ses mains dans la fange nourricière de vos esprits pour y puiser la liqueur de votre être spirituel, cet être qui brasse et décode silencieusement les signes occultes du monde. Cet être qui sait, qui est et que vous n’apercevez jamais vraiment.
Je cherche la manifestation de l’esprit du monde, la noosphère, le tissu serré de nos relations silencieuses, l’étoffe multicolore de nos relations braillardes. Vous tous, si vous êtes présents, ici et maintenant. Imaginez les fils de lumière qui existent entre vous… et tout. Voyez les, sentez les. Il n’y a pas de rupture, pas de distance, pas de discontinuité- la discontinuité c’est la mort – l’isolement c’est la mort- le silence c’est la mort.
A- Masque blanc et B- masque noir A- Ce que je vais dire ici, mille fois déjà d’autres l’on dit. Tout au long de l’histoire, et même avant l’histoire, depuis qu’est la conscience, avant même qu’ils en aient conscience, des hommes dirent ce que je vais dire : comme une litanie… B- comme une rengaine… comme une antienne… (Un peu agacé) A- comme une musique en forme de point d’interrogation. Tintement de clochette très prolongé. A- Métaphysique, questions ultimes… B- Verbiage creux et inutile… A- Ils donnèrent une sens à l’insensé, donnèrent forme à l’informe… B- Voiles d’obscurité, extravagante mythologie, intoxication collective… A observe B avec un petit air surpris et fâché. A- Ils le dirent avec d’autres mots, avec un autre lexique et une autre syntaxe. Ils le dirent dans des milliers de langues, l’écrirent à l’aide de milliers de signes. B- Tous croyaient dire une chose neuve. Tous croyaient voir, ou apercevoir, une lumière, la lumière d’une vérité jusqu’alors cachée. A- Ils dessinèrent sur tous les supports, de toutes les manières avec tous les pigments et toutes les matières. B- Ils gravèrent dans la chair et le sang, les larmes et la douleur. A- Ils chantèrent de la voix des anges l’éternelle harmonie des sphères. B- Ils se déchirèrent, se brûlèrent, se massacrèrent à tour de bras et tous pensaient avoir accompli une œuvre utile. A- Pas totalement inutile… (Sur un ton triste) B- Tous pensaient avoir fait gravir une marche, ouvrir une porte, dégager un horizon, donner un espoir, fait progresser la connaissance. A- Ils proposèrent des réponses, posèrent de nouvelles questions et donnèrent de grands espoirs à la jeune humanité. B- Malgré l’abondance des réponses, les myriades d’interprétations, les masses de certitudes, les indiscutables preuves… Les questions restent entières. A- La clairière de la conscience grandit B- La durée de validité des réponses est de plus en plus brève… A- Il me semble pourtant apercevoir une faible clarté. B- Allons donc ! Nous savons tous que ces questions sont vaines. Avons-nous le loisir de se perdre en rabachage stérile alors que nous croulons sous le fardeau de l’existence ? Allons nous donc encore dire et redire les mêmes choses ? Poser les mêmes énigmes, les mêmes apories, les mêmes creuses balivernes pour les siècles des siècles ? Le chœur : Pour l’éternité, tant que sera l’humanité…tant que sera la conscience. Les orateurs cherchent d’où viennent les voix, en particulier vers le ciel. A- Le ciel semble me donner raison, mais le ciel c’est la déraison… B- Voila
que j’entends
des voix ! A- Mais a qui parles-tu donc ? Le chœur : « Ignorants de toute façon…Ignares, stupides, aveugles et sourds » B- Faisons désormais silence, nous sommes ridicules. Taisons nous, on nous observe sans bienveillance. Le chœur : « Ce qu’on ne peut dire, faut il vraiment le taire ?» A- Je ne sais que désigner, montrer du doigt (il montre du doigt) mais absolument rien dire. Tout me manque : les mots, les idées, la musique, et par-dessus tout le temps… B- Oui ! Avons-nous du temps à perdre ? Le chœur : « Le temps se perd quoi que nous en fassions. » B- Mais le temps est notre bien le plus précieux. Il est comme un trésor que nous dépensons sans compter, sans savoir combien il nous reste en caisse. Allons nous le dilapider inutilement ? A- (Animé) Que faire d’autre de son temps ? Je ne connais pas de temps mieux dépensé. Le chœur : « Aucun temps n’est plus réel que le temps de la rêverie, aucun temps n’est plus fécond que le temps de l’imaginal » B- Ce temps est un songe creux, une spéculation inutile qui ne repose sur rien de concret et ne propose aucune réponse sûre. A- Il
n’y a pas de réponse sûre ni de plus grand
bonheur que l’énigme du monde, l’énigme de
l’être, alors laisse couler le temps. Le chœur : « Temps du rêve, tu es une flèche… » B- Un rêve ! (Étonné, il réfléchit
et répond) Ce rêve peut il soulager mon angoisse ? Peut-il
effacer ma nausée ? Peut-il faire disparaître ma peur de
voir tout m’échapper, tandis que je reste seul et inutile
? Le chœur : « Temps du rêve, tu es seul qui vaille… » B- Irrationnel, insensé…voila des mots auxquels je ne veux pas consacrer une seule seconde. Je veux vivre éveillé, les yeux ouverts. Je veux organiser ma pensée pour quelle devienne aussi parfaite et dure qu’un cristal. Le chœur : « Laisse tomber la neige… » A- (D’une voix douce, presque un murmure) Le rêve du tout est comme la neige. Il t’apportera la paix, la douceur et le silence. Il te rendra le monde plus simple et plus beau. B- Je veux savoir ce qu’il y a sous la neige. Je ne veux pas de cette écoeurante douceur. Je veux me battre, montrer ma force, goûter le sang, soumettre et triompher. Je me sens fort, invincible. Le chœur : « La flèche du temps te poursuit… » A- La flèche du temps te rattrapera. Tu n’auras jamais de repos. Elle se fichera dans ton cerveau et tu souhaiteras la neige. Tu n’es qu’un homme, bête parmi les bêtes, témoin aveuglé d’un « apparaître » peut-être inconnaissable. Tu ne peux pas savoir avec certitude ce qu’il y a sous la neige. Tu peux juste l’imaginer, le chanter, le célébrer. B- Dire
des mots pareils, quelle prétention ! Quelle imposture
! A- Il y a en toi une place pour la mort… et pour toi une place dans le néant. Tu es, avant tout un « être pour la mort » B- La mort est une chose normale, elle viendra en son temps. J’accepte ma condition d’homme, j’accepte ma finitude, ma solitude et mon inutilité car je n’ai pas d’autres choix, et toute autre attitude serait insensée. A- tu donnes un sens à l’existence, un sens absurde et fataliste, c’est peut-être de la sagesse, c’est ton sens de l’existence, mais il y en a d’autres qui colorent le monde d’une toute autre lumière. B- Je ne peux pas croire à n’importe qu’elle baliverne qui me rendrait la vie plus douce… pour mon malheur. Je suis instruit et lucide, plus j’apprends et moins je sais. Je doute de tout, je ne peux croire en rien, je ne crois plus à rien…Je crois au « rien ». B baisse la tête (infra basse) ses épaules s’affaissent. Le chœur : « Les griffes du temps taillent de fines lanières… » B- (Regardant le ciel) La mort ! la mort ! Il n’y a donc que cela qui t’intéresse. A- C’est la mort qui s’intéresse à nous. Elle nous est plus fidèle que notre ombre. B- C’est donc de la mort que tu veux me parler (Résigné). C’est vrai, je crains la mort et plus encore la vie. Je vis dans l’oubli névrotique de la mort, mais elle est dans toutes mes pensées. J’aurai peur d’elle quand elle sera tout près de moi, que son obscurité me touchera, quand elle sera devenue plus qu’une idée abstraite et lointaine. Je hurlerai sans doute de terreur et de soulagement quand elle viendra me prendre à ce monde. Qu’as-tu donc à dire, toi qui te poses des questions ? Que sais-tu que j’ignore ? Vas-y pose tes questions… et gaspille notre temps. Je n’ai déjà plus de goût pour la guerre. J’ai perdu la rage carnassière de mon espèce et le feu de mon héroïque inconscience. A- Tu abandonnes
soudain tous tes masques quand tu sens le froid de la mort. Tu vois,
il n’en fallait pas beaucoup…il n’en
faut jamais beaucoup pour congédier notre belle arrogance. Le chœur : « Hypnos et Thanatos sont jumeaux et miroirs» A- Accepte le monde comme inconnue d’une équation sans solution. Le chœur : « Une équation sans solution » A- Il
y a un monde hors de la raison, hors du cercle vicieux et éternel
des désirs. Un regard qui dépasse l’horizon de l’humain
pour scruter dans l’éternité. Pourquoi le taire ? Le chœur : « Bois
et mange tant que tu auras faim » A- C’est l’après midi de ma vie. Un soleil tranquille enrobe d’or tout autour de moi et rend belles mêmes les choses laides. Je me love dans un merveilleux cosmos qui s’ajuste à mon être comme une matrice originelle. Le chœur : « Réjouis toi de la vue du soleil » B- Comment atteindre une si béate insouciance ! Comment être à ce point serein ! Il y a, dans le monde tant de choses laides, de choses atroces, de choses injustes que rien ne peut embellir ou justifiées. A- Ces choses, dont tu parles, sont mauvaises pour l’humain, elles sont l’expression de notre mal. Un mal outrancier qui surpasse l’animalité par sa sauvagerie, un mal inexorable, un mal qui ne demande pas pardon. Mais le mal n’est pas toujours mauvais quand on le regarde sous l’angle de l’éternité. B- Comment le mal pourrait il être indispensable ? L’humain se traîne sous le fardeau de l’existence, seul, écorché, laminé, écrasé, désespéré, terrorisé dans une nuit inconnue, manipulé comme un pantin par des forces invisibles et incommensurables. Faire disparaître le mal devrait être notre première mission. A- Dans
tout bien il y a un mal, et dans le mal se cache souvent un bien. Qu’est
ce que le bien et le mal ? B- Je ne sais pas de quoi tu parles. J’ai vécu sans me poser ce genre de questions stupides et insolubles. J’ai recherché le soulagement, le bonheur, la distraction, l’oubli. Mais à présent, par ta faute, il faut que je sache ce que je fais ici, ce que je dois faire ici, si je dois y faire quelque chose… A- On nous dicte tellement nos goûts et nos pensées. On nous vole tellement nos désirs en les détournant vers des marchandises, dont le seul but est de nous enfermer dans un cercle infernal d’insatisfaction et de frustration avec l’espoir toujours différé que de la chose viendra notre bonheur. On détourne notre attention des questions essentielles. On nous standardise pour que nous voulions tous la même chose, pour pouvoir enfin nous la vendre. B- (Se prenant la tête dans les mains) Pourquoi suis-je ici à t’écouter? A- On nous enferme dés notre enfance dans des murs de certitudes. Des certitudes de toutes sortes, en fonction de ce que nous sommes disposés à croire, mais qui nous rassure et nous permettent de continuer à vivre comme si nous étions éternels. B- Pourquoi continuer cette existence sachant que la mort me poursuit, sachant que tout est vain, sachant ce que sera demain. Qu’est ce qui pourrait justifier cet ennui et cette souffrance. Je vis
parce que « ça » vit. A- Te voila en face de toi-même, découvrant la spirale d’immanence de ta vie, découvrant le vide là où tu croyais trouver ton être profond. Ce vide angoissant que tu pris tant de soin à masquer, en détournant ton attention, en occupant ton esprit par de vaines distractions, il est à présent devant toi, plus destructeur que jamais, il t’aspire, il t’avale, tu vas imploser… La lumière s’éteint, la scène est noire…puis la lumière revient progressivement avec le texte suivant :
Suis-je le jouet de mes sens ? Est-ce à moi
de donner du sens ? Chœurs : Ils ont la voix du père et de l’autorité Je voudrais bien leur faire confiance La science
est soumise au marché Des questions
me brûlent les lèvres, Chœurs : Ils ont la voix du père et de l’autorité
Malgré les
cris et les tumultes, La vanité et le progrès, Notre ascension atteint la verticale, Pantins
dociles, aliènes au marché, Nous avons
domestiqué l'atome, La nature
a parlé sous
la torture, Calligrapheurs du silicium, Les chalumeaux crachent le feu, On parle
de fichier génétique, Il est trop tard pour installer des freins, Chœurs : « Et Gaïa
poursuit son voyage « Et Gaïa
poursuit son voyage
Je tangue
au bord de l’abîme, J’ai
peur de ce vide obscur, Je préfère encore l’abandon, Il veillera
comme mon père, Il guidera
ma tête
folle, Il m’apprendra
les paraboles, A parle : Comment
peux-tu croire qu’un Dieu,
J’ai
mal pour cette souffrance, J’ai mal pour l’indifférence, J’ai
mal pour cette arrogance, J’ai honte des crimes perpétrés, Ma voix
résonne
dans le ciel vide, Comment
croire à ce
dieu perfide, A parle : Agonie
dans les murs de l’obscur, Tu mesures ton impuissance, Et la « mort de Dieu » te désole. Son ombre dicte la loi, Tu découvres
la solitude, Et tu mesures
l’imposture, A- Tu as le choix entre Dieu et le néant. Si tu choisis le néant, alors tu deviens ton propre dieu. Un dieu prodigieux et misérable, un dieu du pire et du meilleur, un dieu de génie et de doute, un dieu peureux et follement téméraire. B- Je n’ai pas le choix. Il m’est devenu impossible de croire au Dieu des chrétiens ou à l’une de ses formes édulcorées et panthéiste. Je ne peux même pas faire le pari de son existence sans savoir que je me mens. Les autres religions me sont étrangères, elles ne me parlent pas…elles viennent d’autres cultures, d’autres mœurs, d’autres morales… A- Tu es un dieu du néant, seul dans les ténèbres. Ton monde est devenu plat, indifférencié, nu, vide, tout sens a disparu. Tu sombres dans l’angoisse et l’ennui. Tu vas devoir te reconstruire en partant de rien, comme l’univers dans lequel, malgré tes doutes, tu es… « Seul » La scène disparaît dans l’obscurité et
le mot retentit et résonne longtemps. Deux acteurs
se donnent la réplique mais l’un porte le
masque du visage de l’autre. Ils ont le même visage. A- je pense…silence… A- Qui es tu, toi en désignant l’autre lui-même. B- je suis toi, je suis moi. A- tu ne peux pas être toi et moi, enfin surtout moi. D’ailleurs tu ne peux pas être moi puisque je t’observe et que je ne te connais pas. B- te connais tu, toi ? Silence A- non, c’est vrai. Je ne me connais pas mieux que je ne te connais toi. B- tu vois ! A- mais qui suis-je alors ? B- tu es moi. A- non, je ne le suis pas, je ne le veux pas, je veux être moi. B- tu n’as en vérité pas le choix. Dans le monde matière tu es moi. A et B parlent ensemble, essayant de se surpasser A-je suis moi Le narrateur : « Lui » se place devant un miroir. B-tu vois ? A-je vois ça, c’est donc toi ? B- et toi aussi. A- mais non, c’est impossible. Je pense, je suis. Je suis un autre que toi. B- tu n’es rien d’autre que moi, que « ça » comme tu dis. A- alors tu seras ma créature. Tu seras mon esclave. Tu seras comme un pantin dans mes mains. B- N’y compte pas trop, car tu dépends entièrement de moi, de mes états, de mes humeurs. Je serai plus souvent ton maître que ton esclave. Bien plus souvent…et d’ailleurs ces mains dont tu parles, elles sont à moi. A- Tes mains ne sont pas mes mains. Ton image n’est pas la mienne, elle ne correspond pas à ce que je suis, mais elle est pourtant la seule visible. Vais-je devoir supporter d’être toi pour tous les autres ? B- C’est ça, tu es moi et tu le resteras. A- Mais tu ne me ressembles en rien. Ce visage, ce corps. Personne ne pourra m’apercevoir derrière cette apparence. B- Et alors, quelle importance ? Tu penses que tu vaux mieux que moi ? Tu penses être au dessus du monde matière ? Pour qui te prends tu ? Tu n’es qu’un spectateur, un témoin passif. A- Oui, je suis au dessus de toi. Je sais ta monstrueuse animalité et je te juge. Tu m’es inférieur, c’est évident. B- Les chiens aboient dans la cave. Tu les entends, tu as peur. Mon animalité, comme tu dis, n’est pas laide. C’est toi ma malédiction. Tu es comme un parasite. Tu perturbes mon équilibre en jetant le trouble et la mauvaise conscience dans mon azur, qui sans toi resterait sans nuages. Conscience, raison : ce duo infernal sait exalter mes passions jusqu'à la monstruosité, en les théorisant en d’extravagantes abominations. Par toi, par ta faute, par ta présence empoisonnée, je suis un sur-animal déréglé et dénaturé. Je le sais, je suis un moins-qu’humain. L’humain reste à réaliser. A- C’est moi qui fais de toi un être humain, c’est ma lumière qui t’a hissé au dessus de la masse grouillante. C’est moi qui t’ai révélé ta condition. C’est encore par moi que tu as conscience de mon existence. Court silence, puis B reprend avec un ton très doux et soumis B- Malgré toutes les souffrances que j’endure par ta faute, je ne saurais me passer de toi. Nous sommes deux miroirs qui se font face. Derrière moi règne le monde matière et derrière toi est le monde lumière. A- Nous sommes comme deux visages jumeaux qui changent perpétuellement d’aspect et pourtant toujours se ressemblent. Nous nous observons sans cesse, à la recherche des signes et du sens. Entre nous se dresse un ondoyant voile de néant, onde trouble, malaise, vision instable, révélations furtives au sein d’entrelacs lucides. Mais toujours et encore le doute, la peur d’être trompés, fourvoyés. Toujours la soif de clarté, de transparence, de lumière, de vérité. B- Je ne sais pas mentir. Tu le sais. C’est toi le gardien des clefs. Silence A- J’ai peur de la vérité.
Elle serait pour nous comme un acide mortel. Duo rapide sur un rythme rap… A commence et B termine la phrase
B- Je veux devenir ce que je suis A- Nul ne peut réaliser ce qu’il est. Cette belle formule ne veut rien dire. Au fond de toi, tu n’es rien que ne soit tous les autres hommes. L’individu est une chimère romantique. Au lieu de sacraliser un patchwork hétéroclite invente un mode d’être qui justifierait ton existence et en même temps celle de toute l’humanité. B- Comment justifier une chose manifestement insensée et inutile ? A- L’existence n’est pas une chose, ne la contemple pas de l’extérieur. L’expérience des autres est pour toi inutile. Tu dois découvrir ton implication intime. Tu verras que le sens ultime que peut prendre une existence humaine est d’y participer avec une totale et absolue sincérité, en voulant ce que l’on veut et en reconnaissant l’exception de l’être-au-monde comme un présent que nous devons recevoir avec gratitude. B- Gratitude ? Qu’y a-t-il de si précieux dans l’existence ? A parle : Avant nous, avant l’être, il y a longtemps, un abîme de temps, une éternité qui ne peut pas parler à notre esprit ; il n’y avait rien, ou presque rien, un nucleus, un œuf, un noyau, une graine, un germe, une spore, un sans-nom… Comme un être humain vient tout entier d’une seul cellule,
l’univers qui nous contient sortit de ce sans-nom et s’épanouit
comme une grande et fascinante fleur. Nous sommes conscients d’être
et conscients de cette conscience. Nous participons malgré nous à cet étrange
aventure, immergés dans un mystérieux cosmos. (A et B redeviennent blanc et noir comme au début) B- D’après toi (soupçonneux), l’être
viendrait du néant ? A- L’être ne vient pas du néant. Mais d’un être invisible dont nous n’avons pas conscience. Pour l’humain, l’être vient du vide. B-le vide et le néant ne sont-ils pas deux mots qui désignent la même chose ? A- Il y a un « être » qui n’est pas pour nous, qui n’est pas pour nos sens, ni notre entendement. Pourtant il « est », bien qu’échappant à notre connaissance. Je le nomme : non-être. B- Ce non-être n’est ce pas le néant ? Il lui ressemble tellement. A- Le néant est l’absence d’être. Le non-être « est » mais nous reste invisible et sans doute inconnaissable. B- Et que peux bien contenir le non-être ? (Narquois) A- L’envers du décor, le reste de l’être, ce qui le complète pour qu’il soit opérationnel. B- Et le néant ? A- Il est partout autour de l’être. B- Que pense la science de ton étrange théorie ?
L’œil
fouille le grand et le petit, Le tao dit que la recherche est vaine Chœurs : Le néant est la condition de l’être. Le grand
Charles Baudelaire me prêta quatre vers,
Comme de
longs échos qui de loin se répondent, Les parfums,
les couleurs et les sons se répondent, Qu’y a-t-il de meilleur que d’être
oublieux, B parle : Et le grand
Jean-paul Sartre me prêta quatre mots,
Si on refuse à mon moi d’être, Si je suis
victime d’un verbiage fou, Je n’ai
pas envie de discours lucides
B- Que faut-il pour construire un être véritable ? A- Sa matière première est la vérité. B- Tu es obsédé par la vérité. Elle me séduit moins que le secret. Comment trouver cette vérité ? Où la chercher ? Chœurs- Au plus profond de la psyché, A- Lorsque
tu t’offriras, elle viendra t’habiter. Tu penses que dans un esprit vacant elle viendra d’elle-même se loger ? Je pense, pour ma part, que l’esprit humain ressemble à une marmite. Il contient une sorte de « soupe primitive». Bouillon clair ou épais ragoût, en fonction de la recette que l’on a décidé de réaliser. Il peut mijoter doucement ou encore bouillir et même déborder. Les humeurs et les fluides, les sucs et les liqueurs s’y mêlent, s’amalgament, s’associent comme des ingrédients culinaires en une complexe chimie organique. Nous remplissons sans cesse ce fumant cratère, où se forment les éléments primaires de notre vie psychique. Nous y jetons pêle-mêle nos apprentissages, nos émotions, nos petits riens, nos affects, nos visions, nos sensations, tout ce que nous picorons en papillonnant dans le monde. Cela conditionne à la fois notre tonalité affective, notre façon de lire la réalité, mais aussi notre créativité. A- Ta créativité, oui, c’est d’elle que viendra ta vérité. B- Mais
où trouver les germes la vérité,
La vision
de la vérité
A- Je suis le vrai, B- Je suis le faux, A- Je dis seulement ce qui est, B- Je suis l’erreur du cogito, A- Qui
donc ici écoute
le faux ? B- Seulement les humains qui en font toujours trop, A- Qu’est ce le vrai ? B- Qu’est ce le faux ? A et B ensembles- Ne sont-ce pas seulement des mots ? B parle : Des mots, il y en a partout, Mes mots
s’épanchent
en pluie, Mon lexique
est ma liberté, Ils dansent en farandole, J’ai l’impression d’être
un parloir, Je l’observe à la dérobée, Parfois
quelqu’un
semble me voir,
Un autre
que moi règne en maître, Tout en bas dans les profondeurs,
Il y a
une scène
immense,
Au plus profond Dans ce
monde muet, il y a d’autres mots, Ils usent
du langage des quatre éléments, B- Il y a en nous un monde secret qui ne s’exprime que par détours et métaphores. Chœurs : Le monde-pour-l’humain est une métaphore du réel. A- L’esprit-corps est un inconnu pour l’esprit-conscience. C’est un territoire sauvage, effrayant et primitif où peu d’entre nous osent se risquer. B -Qu’irions nous y faire ? Nous sommes au dessus de sa sinistre animalité. A- Nous le surplombons tellement qu’il nous réduit à l’état de témoins impuissants. Lui seul existe dans le réel alors que nous divaguons dans le phantasme. B- C’est par nous qu’advient l’être humain ? A- Mais nous sommes comme un parasite, perturbant et corrompant ce qui était sans défaut. B- La conscience est donc un défaut ? A- Le pire de tous, le péché originel. C’est la conscience qui nous tient éloigné de l’être. B- Ma
conscience est ce par quoi j’explore l’être.
Sans elle, je n’existe pas et plus rien n’existe. B- L’esprit-corps peut il m’enseigner des choses sur la réalité. A- Bien des choses, en effet, et tu dois le laisser s’exprimer, sans le contredire et sans le censurer. L’art est une façon de le laisser parler… B- Oui, c’est cela ! Voila ce que je veux. Je serai un artiste. Chœurs : « L’art est un pur désir de désir » B parle : Je veux
oublier la misère,
J’ai
envie de sentir, Je veux
goûter
au fabuleux Chœurs-
Plus explorateur effaré Je veux
vivre de la lumière Je veux quitter cette caverne, Je veux voir le soleil en face,
Chœurs-
Plus explorateur effaré Ces territoires fabuleux Ces territoires somptueux,
Chœurs-
Plus explorateur effaré
L'enfant
marchait au bord de l'immense océan. Chœurs
: L’artiste
est un serrurier, A parle : Il nous
conduit d’un signe à la source de l’être, Chœurs : « L’art est connaissance par les gouffres » L’œuvre
surgit Apparition furtive Ton œuvre d’art
me dit Quelle obscure alchimie Glyphes
d’un
labyrinthe Tourbillon callistique, Chaos d’ego et d’agnostique, Chaque
achèvement
est ultime Tu te dis ce que tu veux savoir, J’aime
me blottir en ton sein,
B parle : Je souhaite opposer au malheur, Je veux
opposer à l’utile, Explorateur
de l’existence, Je veux recevoir cette offrande,
Il y a
sous ce monde matière, Je veux
célébrer l’existence A parle : Tu penses être
un humain libre, Tu penses être
un humain sensible, Crois-tu
pouvoir te délivrer, C- Mais de quoi parles-tu ?
Unité de temps sur toute la planète. Chœurs : Standardisation Ce mot
a toutes les vertus. Il est le fondement de la consommation de masse.
Il est le
fondement de la société égalitaire
et démocratique. Il est le fondement des systèmes dit de « Qualité » qui
justifie l’existence des improductifs théorisant le travail
pour ceux qui l’accomplissent. Chœurs : Cybernétique Nous sommes enfermés dans un réseau, étroit et surveillé, de règlements et de devoirs. Prisonniers d’un chronométrage précis alloué à chaque activité. Conditionnés en permanence par une dynamique générale de consommation, de satisfaction superficielle de désirs matériels et artificiellement provoqués. Nous vivons comme des robots en pensant que c’est la meilleure des conduites sociales. Nous ne connaissons rien à la liberté et nous la refusons sans doute.
Je veux
brûler
dans mon esprit Je veux faire tabula raza
A- Que fais-tu sur le grand plongeoir ? B- Je l’observe, je l’étudie. Tu vois, j’ai des notes, des dessins et déjà quelques théories innovantes. A- Tu sais plonger d’aussi haut ? B- (stupéfait) Plonger ? Non voyons ! Je suis ici pour étudier. A- Et que cherches tu dans l’étude du plongeon ? B- Je ne sais pas vraiment, mais j’ai l’intuition qu’il pourrait changer ma vie. Ce doit être tellement merveilleux d’évoluer entre ciel et terre. A- Tu vas donc plonger ? B- Non. A- Comment peux-tu étudier le plongeoir sans faire quelques plongeons ? B- Je peux ! Je regarde les autres plonger. Je fais des mesures que j’analyse, et j’ai lu tout ce qu’on a pu écrire sur les plongeoirs et le plongeon. A- Mais pourquoi ne plonges-tu pas ? Y’a-t-il meilleure manière pour connaître que de faire l’expérience par soi-même ? B- Non, j’ai peur, c’est trop haut…j’ai peur. A- Tu ne plongeras donc jamais. B- Jamais. A- Alors pourquoi étudier le plongeon ? B- Pour savoir si je veux savoir. A- Savoir quoi ? B- (exaspéré) Ce qu’est le plongeon.
Si tu veux
savoir et connaître, Si tu veux
que ton regard pénètre, Si tu veux
chaque jour renaître, Alors fais de tes jours un voyage sans fin, B- Depuis longtemps déjà je cherche à faire de tous les instants de ma vie des œuvres d’art, des performances exemplaires. Mais le temps passe et cette attitude m’apparaît chaque jour plus artificielle et égocentrique. J’observe le monde qui m’entoure en suivant une spirale me prenant pour origine. Cette douce jouissance, du grand, du noble et du beau se teinte de plus en plus de la suie sombre de la réalité. Je ne peux continuer de vivre dans un univers qui n’existe que pour moi et quelques privilégiés, un univers de simulacres qui n’avait d’autres but que de combler l’ennui mortel qui m’envahissait. Je ne fréquentais que des gens oisifs, faux, bourgeois, superficiels. Des gens qui ne vivent pas vraiment. Ils voient la vie au travers d’un écran de virtualité esthétique et dialectique. Ils voient toutes choses au cœur d’un référentiel publicitaire et artistique. Ils ne voient les humains que dans la lumière tamisée des conversations de table, conversations spectacle, par des enquêtes, des statistiques, des essais philophico-anthropologiques. Ils n’ont pas de réelle expérience de l’humain, parce que l’humain leur fait horreur. Ils ne savent rien de la faim, de la peur, de la souffrance physique qu’ils redoutent par-dessus tout. Suis-je
encore l’un d’eux
? J’ai pris la beauté sur mes genoux et je l’ai trouvée laide, et je l’ai insultée, et j’ai décidé que j’allais m’en passer. Qui se
soucis de la beauté ? Sûrement pas ceux qui souffrent, jour après jour, esclaves soumis aux diktats d’une société castratrice et mortifère, d’un mirage, d’une supercherie à l’allure de démocratie dissimulant un dispositif hypnotique destiné à l’aliénation des masses. L’art est avant tout un commerce, comme tout ce qui existe, ou presque dans notre monde. Rimbaud avait lui aussi posé, un soir, la beauté sur ses genoux pour lui dire que leur amour avait vécu et qu’il était temps pour lui de vivre dans le « vrai » monde, celui qui est poésie au-delà des mots et des formes maniérées des hommes. C’est ce genou qui le ramena à Marseille, des années plus tard, pour y mourir. Rimbaud, l’un des plus grands amants de la beauté, une âme pure et radicale, incarnant le refus du conformisme, le refus de la paresse intellectuelle, le refus du consentement à mourir lentement dans la médiocre satisfaction du « ça ». Chœurs : Refus de
l’ordre
et de la conformité A- Je constate, avec tristesse, que tu ne crains pas le radotage de clichés poussiéreux et éculés jusqu’à la corde. B- Que veux-tu dire ? A- Je veux dire que, depuis toujours, tu te vautres dans cette existence que tu dénonces aujourd’hui. Tu fantasmes sur une autre vie que tu es incapable d’assumer. Tu rêves d’être quelqu’un d’autre et d’avoir encore quelque chose à espérer. Tu n’as plus de rêves, plus de projet. Tout ce qui te faisait jouir t’écoeure à présent. Alors tu imagines un autre toi, riche d’un monde authentique et neuf, riche d’une réelle implication dans l’existence. Ta vie n’est qu’un rêve, une simulation, une parodie virtuelle… B- C’est faux, je profite pleinement de la vie. J’ai réussi ma vie. Bien d’autres, des plus prometteurs, n’ont pas aussi bien réussi. A- Ah oui ! de quelle réussite parles-tu ? B- Dois-je donc me justifier ? Ma réussite est évidente. Je suis reconnu dans mon travail. J’ai des responsabilités que j’assume sans difficultés. J’ai une famille qui me fait honneur, j’ai un petit patrimoine et des revenus qui nous autorise une vie confortable, sans soucis matériels. N’est ce pas cela qu’on appelle la réussite ? A- C’est donc à cela que tu pensais en parlant de réussite
? B- En voila des sous entendus ! A- Il me semble retrouver dans les fonds des plus lointains tiroirs des ébauches de projets qui avaient une autre allure. B- Il est bien dommage que tu fouilles encore là-dedans et qu’on ne puisse vider définitivement ces vieux tiroirs pour en brûler le contenu. A quoi nous sert de conserver ces vieux souvenirs, ces mensonges qui ne sont là que pour nous faire croire que nous voulions autre chose. A- C’est cela. Tu voulais autre chose… B- Non
! Rien d’autre en vérité. A- Tu as donc réalisé ton idéal de vie ? B- Et toi, tu as décidé de me tourmenter ? A- Il n’est pas trop tard. Il n’est jamais trop tard pour enfin devenir ce que l’on est. B- Je ne peux pas être ce que je suis parce que le monde n’est pas tel que je voudrais qu’il soit. A- Pendant le peu de temps que nous vivons sur cette terre, pourquoi vouloir réduire le monde humain à nos tristes et absurdes caricatures. B- Je suis une caricature de ce que je ne voulais pas être. C’est ça ? A- Alors pourquoi l’es-tu ? B- Je suis tombé dans une ornière, j’ai suivi les rails. J’ai préféré les voies dégagées et bien éclairées aux sentiers tortueux et obscurs. A- Qu’est ce qui a changé ? Tu n’as plus peur de sortir de l’ornière ? B- Oui, je veux exister autrement et pour autre chose. A- Tu penses en être capable ? B- Je ne sais pas mais qu’ai-je à perdre d’essayer ? A- Tu pourrais tout perdre. B- Je ne vais rien risquer. A- Si tu ne risques pas tout, tu ne changeras rien. B- Je ne risquerai que le monde de mon esprit. Je vais le mettre en pièce, tout nettoyer et tout reconstruire. A- En voila un beau projet. B- Il n’y en a pas de plus beau. A- Comment vas-tu t’y prendre ? B- Je vais partir à la recherche de l’enfant en dispersant ma charge au hasard du désert. A- Qui te servira de guide ? B- Mes Maîtres ont mûris en moi, un nouveau sens se dégage. La graine plantée il y a longtemps va pouvoir germer. A- Il ne lui manque que du soleil. B- L’Autre, l’amitié, l’amour, pourquoi pas, au risque d’en garder quelques brûlures. A- L’Autre, le miroir… L’Autre
me menace. L’Autre c’est aussi toi, et tu n’es plus tout à fait
l’Autre. J’aime ton visage. Je ne sais
pas pourquoi j’aime tant ton visage, Dans tes
yeux lumineux, j’aperçois les présages, Ta bouche
silencieuse, close, d’un éclatant carmin,
Son visage est Mon visage Qui peut
me dire où est l'endroit ? Images qu'ils s'envoient, Celui qui
me considère, L’envers
ou l'endroit, Nos vies se tiennent au travers du cristal.
Et toi ! Mais… Tu es mon œuvre d’art Amour-femme Tu portes
une résolution
muette, Nul besoin de frileuse conscience,
Tu es prêtresse du grand mystère, Ton corps cache en son sein le merveilleux secret, Femme, ombre et silence, farouche, pieds en terre,
Je t’aime, Je t’aime, Je t’aime,
Amour-enfant J’ai
un enfant. Amour-monde Je suis au monde, enfin Mon corps
est un océan. Par de
minces fils de lumière, Dire n’a pas d’importance,
Ebloui
d’un rêve
romantique
Le temps
est comme une chanson, il berce, il enjôle, il charme,
il hypnotise et, sans surprise, il se termine. Chœurs : KHRONOS deuxième Le temps
a des yeux de requin. Il est froid, méthodique, simpliste
et affamé. Chœurs : KHRONOS troisième Rythme et rotation
Mais j’ignore presque tout de mon passé. Je suis le résultat, l’unique extrémité d’un rameau, l’aboutissement du parcours millénaire de l’Etre de vie, qui remonte dans la nuit du temps comme une traîné de feu sur le buisson inextricable des générations. Cet Etre de vie, entité sans nom, a pris toutes les formes de sa perpétuation, car la vie est un flux qui ne se rompt qu’avec la mort du porteur-gardien-géniteur qui n’a pas transmis la flamme invisible au suivant. Comme il est vertigineux de penser que cette vie apparue dans les océans selon un processus encore obscur, il y a des milliards d’années, est encore aujourd’hui en moi pour quelques temps. Quatre vingt milliard d’humains sont déjà mort avant moi. Il faut croire que le sol de cette planète n’est constitué que de cendres et de restes de cadavres humains. Combien sont mort avant d’avoir vécu, nouveaux nés dans leurs premiers jours, enfants, terrassés par les maladies, broyés par les guerres ? Combien d’hommes sont morts sur les champs de bataille dans de gigantesques holocaustes en l’honneur de Thanatos ? Moi, seul aujourd’hui, parmi des milliards d’autres, au terme d’une longue vie, sans violence ou presque, sans souffrance ou presque, sans amour ou presque, sans même être sûr du souvenir d’une vraie joie, mais que sont mes souvenirs à présent, je contemple ceux qui vécurent avant moi et ceux qui restent après moi en me disant que j’ai eu une bonne vie. Le hasard m’a fait naître au bon endroit et au bon moment. Merci le hasard. Merci quel que soit ton nom et même si mon merci ne te parvient pas ou n’a aucun sens pour toi. Merci la vie pour tous tes bienfaits, car il me semble à présent que tu n’es que bienfaits. Merci pour le tourment, merci pour la nausée, merci pour les soucis, merci pour l’inquiétude et aussi merci pour le soleil, pour la pluie, pour l’océan, pour le vent sur mon visage et dans ses cheveux. Merci pour ce monde incroyable, merci pour cette brève et longue vie… L’existence résiste à toutes
les logiques, Etre dans ce nulle part, ici et maintenant, La vie
reste, pour moi, un grand étonnement, La mort viendra souffler la lueur de conscience, De quoi
sommes nous sûrs dans ce monde trop grands ? Et si la
vie entière était un jeu d’optique,
Tous cela fait à présent partie du passé. L’heure est à la mort. Seul. Seul. Je reste seul. Seras-tu
près de moi quand je glisserai à travers
le trou minuscule qui relie les deux mondes ? Le crucifié me guette dans l’ombre, il attend son heure,
il attend son homme. Il sait qu’il ne restera que sa main tendue
au moment ultime et il sait aussi que je la saisirai contre tout ce que
je prenais pour des convictions. Christ hurlant sur sa croix : « Père, père, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Mère, toi qui me donnas la vie, sais-tu qui me la reprend aujourd’hui ? Christ mourrant sur la croix au sommet du Golgotha, comme un poignard planté pour la reste des temps dans le cœur des hommes. Tu es la seule image qui me reste pour ce dernier instant dans lequel je plante et je casse mes ongles. Elle approche, elle est là… Le temps me disloque Prisonnier de tranchants fils d'acier Et dans
mon cœur,
une chanson. Les deux
pieds dans un bloc de béton Le compte à rebours, Avance,
bras tendus dans l'obscurité. La trotteuse tourne, Vautre-toi dans la terre, Pleure
des larmes brûlantes, Et dans
mon cœur,
une chanson.
(Munch-la genèse du cri) Ce spectacle peut être exécuté par trois acteurs représentant chacun une des instances de la psyché du personnage unique qui s’exprime dans cette histoire. Ces instances changent progressivement au cours de l’histoire. Mais en règle générale elles sont : l’une plutôt rationaliste scientifique et pragmatique à la recherche de la vérité du monde et l’autre spiritualiste et métaphysique à la recherche de la magie du monde. La troisième instance est au dessus des deux autres. C’est une sorte de voix divine, désincarnée, un surmoi qui remonte des strates les plus profondes pour faire une synthèse des idées essentielles. Le spectacle peut aussi être joué par un seul acteur qui serait capable d’incarner alternativement les trois instances. Ou encore sous forme de spectacle de marionnettes portant des masques mêlant le noir et le blanc exprimant les mélanges successifs qui interviennent dans les pensées du personnage.
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