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La lumière monte lentement, deux personnages sont présents sur la scène. Les choeurs sont invisibles, ils semblent venir d' en haut. Le premier personnage: A s' exprime d' abord.

Chœurs : « Ici et maintenant »


A- Je voudrais, ne serais-ce qu’un bref instant, former dans vos cerveaux une manière de masse critique, un débordement, une émergence, un schéma quantique, un surgissement, une épiphanie qui nous donnerait le mystère du monde pour unique raison d’exister.

Je voudrais rassembler dans un improbable chaudron cérébro-cosmique les multitudes d’ingrédients de la soupe primitive. Je voudrais les porter au noir puis au rouge et faire jaillir la lumière d’or d’une conscience multicolore.

Choeurs: « Œuvre au noir dans le chaudron de l’être »

Je voudrais que vous soyez hors du contrôle écrasant de ceux qui vous entoure, de vos amis, des médias, du marché, de l’éducation, de tout ce que vous pensez savoir, de tous les slogans, de tous les mots d’ordre, de vos certitudes aussi dures que l’acier, de la morale si profondément enkystée dans votre chair qu’elle vous tort et vous broie.
Je voudrais que les os de vos cerveaux, les fossiles poussiéreux, les pensées devenues pierre, craquent et tombent en poussière. Je veux qu’il ne reste de vos corps et de vos esprits, qu’une forme primitive, une forme pure et initiale.

Je vous veux nus et vierges, purs, attentifs et innocents, libres et heureux.


Je vous veux ici et maintenant, enfin ici et maintenant,
Juste pour un instant.

Saurai-je y parvenir ?
Saurez-vous y parvenir ?
Pouvez-vous atteindre ce drôle d’état ?
Comme ça, sans pudeur, devant tout le monde.
Visage découvert, armures et masques jonchant le sol.
Vous, depuis toujours continuellement distraits, continuellement interrompus dans le hachoir à pensée de notre vie d’oubli, d’absence et d’éternelle insatisfaction.
Souvenez-vous, vous l’avez sans doute connu, cet instant de grâce, cet instant de disponibilité totale où l’être se superpose parfaitement à lui-même pour disparaître dans le néant.
Mais comment pourriez-vous vous en souvenir.
On ne peut pas être heureux et se regarder être heureux.
On ne peut pas être et se regarder être.

L’instant magique et magnifique.
Vous l’avez sûrement connu si vous avez aimé, aimé vraiment, sans calcul, aimé simplement, dans l’oubli total de vous-même, sans raison, par pure nécessité.

A et B, l'un après l'autre, très vite.

Aimer La vie  
Aimer Son nombril  
Aimer Dieu  
Aimer Sa belle jambe  
Aimer L’idée d’une femme  
Aimer Le fantasme d’une femme  
Aimer Une femme  
Aimer Une image  
Aimer Une icône  
Aimer Un homme  
Aimer Une idée  
Aimer Les bigorneaux  

A- Peu importe, l’important c’est d’aimer… de temps en temps.

Comme dans ces précieux instants, je veux toucher les mécanismes secrets, la matrice invisible. Je veux m’enfoncer comme l’eau, dans les strates les plus profondes, les plus interdites, les plus primitives, au-delà obscur où se confondent encore l’objet et le sujet. Lieu d’ombrement, de confusion et de révélation.

Je serais l’alchimiste qui plongera ses mains dans la fange nourricière de vos esprits pour y puiser la liqueur de votre être spirituel, cet être qui brasse et décode silencieusement les signes occultes du monde. Cet être qui sait, qui est et que vous n’apercevez jamais vraiment.


C’est lui qui sait faire de l’or avec du plomb. C’est lui qui tisse des fils de lumière dans toutes les directions et entre toutes choses. C’est lui pour qui rien ne commence, ni ne finit. C’est lui que vous avez chassé dans la plus profonde de vos oubliettes, bâillonné et aux fers.

Je cherche la manifestation de l’esprit du monde, la noosphère, le tissu serré de nos relations silencieuses, l’étoffe multicolore de nos relations braillardes.

Vous tous, si vous êtes présents, ici et maintenant.

Imaginez les fils de lumière qui existent entre vous… et tout.

Voyez les, sentez les. Il n’y a pas de rupture, pas de distance, pas de discontinuité- la discontinuité c’est la mort – l’isolement c’est la mort- le silence c’est la mort.


SILENCE, assez long pour être dérangeant,


Puis sur un ton léger
Mais La mort n’est pas encore là. Pressons nous avant sa venue…

A- Masque blanc et B- masque noir

A- Ce que je vais dire ici, mille fois déjà d’autres l’on dit. Tout au long de l’histoire, et même avant l’histoire, depuis qu’est la conscience, avant même qu’ils en aient conscience, des hommes dirent ce que je vais dire : comme une litanie…

B- comme une rengaine… comme une antienne… (Un peu agacé)

A- comme une musique en forme de point d’interrogation.

Tintement de clochette très prolongé.

A- Métaphysique, questions ultimes…

B- Verbiage creux et inutile…

A- Ils donnèrent une sens à l’insensé, donnèrent forme à l’informe…

B- Voiles d’obscurité, extravagante mythologie, intoxication collective…

A observe B avec un petit air surpris et fâché.

A- Ils le dirent avec d’autres mots, avec un autre lexique et une autre syntaxe. Ils le dirent dans des milliers de langues, l’écrirent à l’aide de milliers de signes.

B- Tous croyaient dire une chose neuve. Tous croyaient voir, ou apercevoir, une lumière, la lumière d’une vérité jusqu’alors cachée.

A- Ils dessinèrent sur tous les supports, de toutes les manières avec tous les pigments et toutes les matières.

B- Ils gravèrent dans la chair et le sang, les larmes et la douleur.

A- Ils chantèrent de la voix des anges l’éternelle harmonie des sphères.

B- Ils se déchirèrent, se brûlèrent, se massacrèrent à tour de bras et tous pensaient avoir accompli une œuvre utile.

A- Pas totalement inutile… (Sur un ton triste)

B- Tous pensaient avoir fait gravir une marche, ouvrir une porte, dégager un horizon, donner un espoir, fait progresser la connaissance.

A- Ils proposèrent des réponses, posèrent de nouvelles questions et donnèrent de grands espoirs à la jeune humanité.

B- Malgré l’abondance des réponses, les myriades d’interprétations, les masses de certitudes, les indiscutables preuves… Les questions restent entières.

A- La clairière de la conscience grandit

B- La durée de validité des réponses est de plus en plus brève…

A- Il me semble pourtant apercevoir une faible clarté.

B- Allons donc ! Nous savons tous que ces questions sont vaines. Avons-nous le loisir de se perdre en rabachage stérile alors que nous croulons sous le fardeau de l’existence ? Allons nous donc encore dire et redire les mêmes choses ? Poser les mêmes énigmes, les mêmes apories, les mêmes creuses balivernes pour les siècles des siècles ?

Le chœur : Pour l’éternité, tant que sera l’humanité…tant que sera la conscience.

Les orateurs cherchent d’où viennent les voix, en particulier vers le ciel.

A- Le ciel semble me donner raison, mais le ciel c’est la déraison…

B- Voila que j’entends des voix !
(En direction du ciel) A quoi bon poser et reposer les mêmes questions en sachant que nous mourrons ignorants ?

A- Mais a qui parles-tu donc ?

Le chœur : « Ignorants de toute façon…Ignares, stupides, aveugles et sourds »

B- Faisons désormais silence, nous sommes ridicules. Taisons nous, on nous observe sans bienveillance.

Le chœur : « Ce qu’on ne peut dire, faut il vraiment le taire ?»

A- Je ne sais que désigner, montrer du doigt (il montre du doigt) mais absolument rien dire. Tout me manque : les mots, les idées, la musique, et par-dessus tout le temps…

B- Oui ! Avons-nous du temps à perdre ?

Le chœur : « Le temps se perd quoi que nous en fassions. »

B- Mais le temps est notre bien le plus précieux. Il est comme un trésor que nous dépensons sans compter, sans savoir combien il nous reste en caisse. Allons nous le dilapider inutilement ?

A- (Animé) Que faire d’autre de son temps ? Je ne connais pas de temps mieux dépensé.

Le chœur : « Aucun temps n’est plus réel que le temps de la rêverie, aucun temps n’est plus fécond que le temps de l’imaginal »

B- Ce temps est un songe creux, une spéculation inutile qui ne repose sur rien de concret et ne propose aucune réponse sûre.

A- Il n’y a pas de réponse sûre ni de plus grand bonheur que l’énigme du monde, l’énigme de l’être, alors laisse couler le temps.

B- (Agacé) C’est du temps jeté au néant.

Le chœur : « Temps du rêve, tu es une flèche… »
« Temps du rêve, tu es une porte… »
« Temps du rêve, tu es une clef… »

B- Mais le rêve, n’est ce pas l’oubli, le refus du réel ? Je veux m’approcher du réel au plus près et être lui. Je veux être réel.

A- Que sais-tu du réel ? Est-il un bon ou un mauvais rêve ?

B- Un rêve ! (Étonné, il réfléchit et répond) Ce rêve peut il soulager mon angoisse ? Peut-il effacer ma nausée ? Peut-il faire disparaître ma peur de voir tout m’échapper, tandis que je reste seul et inutile ?

A- Laisse vivre l’imaginaire, offre lui les meilleures nourritures et vide ton esprit des scories et des poussières. Laisses ton futur être ton guide mais place ta vie dans le présent.

Le chœur : « Temps du rêve, tu es seul qui vaille… »
« Tu es le temps de l’être, le temps de l’irrationnel et de l’insensé, lourd d’un sens en gestation »

B- Irrationnel, insensé…voila des mots auxquels je ne veux pas consacrer une seule seconde. Je veux vivre éveillé, les yeux ouverts. Je veux organiser ma pensée pour quelle devienne aussi parfaite et dure qu’un cristal.

Le chœur : « Laisse tomber la neige… »

A- (D’une voix douce, presque un murmure) Le rêve du tout est comme la neige. Il t’apportera la paix, la douceur et le silence. Il te rendra le monde plus simple et plus beau.

B- Je veux savoir ce qu’il y a sous la neige. Je ne veux pas de cette écoeurante douceur. Je veux me battre, montrer ma force, goûter le sang, soumettre et triompher. Je me sens fort, invincible.

Le chœur : « La flèche du temps te poursuit… »

A- La flèche du temps te rattrapera. Tu n’auras jamais de repos. Elle se fichera dans ton cerveau et tu souhaiteras la neige. Tu n’es qu’un homme, bête parmi les bêtes, témoin aveuglé d’un « apparaître » peut-être inconnaissable. Tu ne peux pas savoir avec certitude ce qu’il y a sous la neige. Tu peux juste l’imaginer, le chanter, le célébrer.

B- Dire des mots pareils, quelle prétention ! Quelle imposture !
Tu veux me mystifier avec tes discours obscurs.

A- Il y a en toi une place pour la mort… et pour toi une place dans le néant. Tu es, avant tout un « être pour la mort »

B- La mort est une chose normale, elle viendra en son temps. J’accepte ma condition d’homme, j’accepte ma finitude, ma solitude et mon inutilité car je n’ai pas d’autres choix, et toute autre attitude serait insensée.

A- tu donnes un sens à l’existence, un sens absurde et fataliste, c’est peut-être de la sagesse, c’est ton sens de l’existence, mais il y en a d’autres qui colorent le monde d’une toute autre lumière.

B- Je ne peux pas croire à n’importe qu’elle baliverne qui me rendrait la vie plus douce… pour mon malheur. Je suis instruit et lucide, plus j’apprends et moins je sais. Je doute de tout, je ne peux croire en rien, je ne crois plus à rien…Je crois au « rien ».

B baisse la tête (infra basse) ses épaules s’affaissent.

Le chœur : « Les griffes du temps taillent de fines lanières… »

B- (Regardant le ciel) La mort ! la mort ! Il n’y a donc que cela qui t’intéresse.

A- C’est la mort qui s’intéresse à nous. Elle nous est plus fidèle que notre ombre.

B- C’est donc de la mort que tu veux me parler (Résigné). C’est vrai, je crains la mort et plus encore la vie. Je vis dans l’oubli névrotique de la mort, mais elle est dans toutes mes pensées. J’aurai peur d’elle quand elle sera tout près de moi, que son obscurité me touchera, quand elle sera devenue plus qu’une idée abstraite et lointaine. Je hurlerai sans doute de terreur et de soulagement quand elle viendra me prendre à ce monde. Qu’as-tu donc à dire, toi qui te poses des questions ? Que sais-tu que j’ignore ? Vas-y pose tes questions… et gaspille notre temps. Je n’ai déjà plus de goût pour la guerre. J’ai perdu la rage carnassière de mon espèce et le feu de mon héroïque inconscience.

A- Tu abandonnes soudain tous tes masques quand tu sens le froid de la mort. Tu vois, il n’en fallait pas beaucoup…il n’en faut jamais beaucoup pour congédier notre belle arrogance.

B- J’ai honte de mes sentiments. Je suis mou. Je suis couard. J’ai peur de l’obscurité, de la pénombre. J’aime et j’ai peur du sommeil. Il ressemble tellement à la mort…

Le chœur : « Hypnos et Thanatos sont jumeaux et miroirs»

A- Accepte le monde comme inconnue d’une équation sans solution.

Le chœur : « Une équation sans solution »

A- Il y a un monde hors de la raison, hors du cercle vicieux et éternel des désirs. Un regard qui dépasse l’horizon de l’humain pour scruter dans l’éternité. Pourquoi le taire ?
Ce monde est un festin auquel tous sont invités.

Le chœur : « Bois et mange tant que tu auras faim »
« Tant que tu auras faim tu seras vivant. »

A- C’est l’après midi de ma vie. Un soleil tranquille enrobe d’or tout autour de moi et rend belles mêmes les choses laides. Je me love dans un merveilleux cosmos qui s’ajuste à mon être comme une matrice originelle.

Le chœur : « Réjouis toi de la vue du soleil »

B- Comment atteindre une si béate insouciance ! Comment être à ce point serein !

Il y a, dans le monde tant de choses laides, de choses atroces, de choses injustes que rien ne peut embellir ou justifiées.

A- Ces choses, dont tu parles, sont mauvaises pour l’humain, elles sont l’expression de notre mal. Un mal outrancier qui surpasse l’animalité par sa sauvagerie, un mal inexorable, un mal qui ne demande pas pardon. Mais le mal n’est pas toujours mauvais quand on le regarde sous l’angle de l’éternité.

B- Comment le mal pourrait il être indispensable ? L’humain se traîne sous le fardeau de l’existence, seul, écorché, laminé, écrasé, désespéré, terrorisé dans une nuit inconnue, manipulé comme un pantin par des forces invisibles et incommensurables. Faire disparaître le mal devrait être notre première mission.

A- Dans tout bien il y a un mal, et dans le mal se cache souvent un bien. Qu’est ce que le bien et le mal ?
Qu’est ce que le vrai et le faux ? Qu’est ce que le laid et le beau ? Où sont les universels fondements de notre pensée ? Le sais-tu ?

B- Je ne sais pas de quoi tu parles. J’ai vécu sans me poser ce genre de questions stupides et insolubles. J’ai recherché le soulagement, le bonheur, la distraction, l’oubli. Mais à présent, par ta faute, il faut que je sache ce que je fais ici, ce que je dois faire ici, si je dois y faire quelque chose…

A- On nous dicte tellement nos goûts et nos pensées. On nous vole tellement nos désirs en les détournant vers des marchandises, dont le seul but est de nous enfermer dans un cercle infernal d’insatisfaction et de frustration avec l’espoir toujours différé que de la chose viendra notre bonheur. On détourne notre attention des questions essentielles. On nous standardise pour que nous voulions tous la même chose, pour pouvoir enfin nous la vendre.

B- (Se prenant la tête dans les mains) Pourquoi suis-je ici à t’écouter?

A- On nous enferme dés notre enfance dans des murs de certitudes. Des certitudes de toutes sortes, en fonction de ce que nous sommes disposés à croire, mais qui nous rassure et nous permettent de continuer à vivre comme si nous étions éternels.

B- Pourquoi continuer cette existence sachant que la mort me poursuit, sachant que tout est vain, sachant ce que sera demain. Qu’est ce qui pourrait justifier cet ennui et cette souffrance.

Je vis parce que « ça » vit.
Je meurs quand sonne l’heure.
Aurai-je accepter si j’avais pu choisir ?
Je suis sûrement là par erreur.

A- Te voila en face de toi-même, découvrant la spirale d’immanence de ta vie, découvrant le vide là où tu croyais trouver ton être profond. Ce vide angoissant que tu pris tant de soin à masquer, en détournant ton attention, en occupant ton esprit par de vaines distractions, il est à présent devant toi, plus destructeur que jamais, il t’aspire, il t’avale, tu vas imploser…

La lumière s’éteint, la scène est noire…puis la lumière revient progressivement avec le texte suivant :



B parle :

Suis-je le jouet de mes sens ?
Je retourne la question en tous sens.
Trouver du sens, créer du sens
La question du sens a-t-elle un sens ?

Est-ce à moi de donner du sens ?
A la place des gens qui pensent ?
Il y a des gens bien informés
Bien diplômés, cravatés, primés.
Ils ont de belles blouses blanches,
Des labos, des budgets d’état,
Pour me dire d’une voix forte et franche
Ce qu’il faut penser de tout ça.

Chœurs : Ils ont la voix du père et de l’autorité
Et règnent sans partage sur notre vérité.

Je voudrais bien leur faire confiance
Mais l’avenir qu’on nous promet
M’inspire aujourd’hui la méfiance
Et me fait craindre le progrès.

La science est soumise au marché
Elle veut être rentable avant tout.
Peu importe la vérité
Seule compte la gloire et les sous.

Des questions me brûlent les lèvres,
Elles sont scientifiquement stupides,
Il vaut donc mieux que je me taise
Plutôt que de dire des bêtises.

Chœurs : Ils ont la voix du père et de l’autorité
Et règnent sans partage sur notre vérité.


A parle sur un rythme Rap:


Il y a longtemps que nous marchons,
Sur les sentiers glissants de la raison,
Et notre avance est irrésistible,
Nous vivons dans l’imprévisible.

Malgré les cris et les tumultes,
Nous échappons aux anciens cultes.
Notre nouveau dogme est la science,
La froide science sans conscience.

La vanité et le progrès,
Nous tirent par le bout du nez.
Nous sacrerons de nouveaux prêtres,
Et nous aurons de nouveaux maîtres.

Notre ascension atteint la verticale,
Et nous touchons au fondamental,
Que ferons-nous de ce que nous trouverons,
Par habitude, sûrement rien de bon.

Pantins dociles, aliènes au marché,
Nous n’avons qu’un bonheur, celui de posséder
Nous consommons comme nous vivons,
Et nous aurons ce que nous méritons.

Nous avons domestiqué l'atome,
Pour le bonheur et le malheur des hommes.
Nous avons dépensé des fortunes,
Pour imprimer un pied sur la lune.

La nature a parlé sous la torture,
Et nous mettons à jour ses structures.
Nous lui arracherons ses secrets,
Elle ne pourra plus rien nous cacher.

Calligrapheurs du silicium,
Optimisant tout au maximum,
Nous dessinons des chemins d'électrons,
Sur les semi-conducteurs en fusion.

Les chalumeaux crachent le feu,
Pour ouvrir le coffre des dieux,
Et fracturer la boite de Pandore,
Les plans de la vie sont dedans.

On parle de fichier génétique,
À l'usage exclusif des flics.
On parle de comité d'éthique,
Mais l'ADN est dans l'alambic.

Il est trop tard pour installer des freins,
Dieu saura t'il reconnaître les siens ?
La marmite est en ébullition,
Nous sommes prêts pour l'explosion.

Chœurs : « Et Gaïa poursuit son voyage
Sans se soucier des outrages… »

« Et Gaïa poursuit son voyage
Sans se soucier des outrages… »


B parle :

Je tangue au bord de l’abîme,
A qui accorder ma conscience ?
Si j’ai la certitude intime
Que ça ne peut être à la science.

J’ai peur de ce vide obscur,
J’ai peur de cette liberté,
Qui m’enferme entre quatre murs
Et m’interdit l’éternité.

Je préfère encore l’abandon,
Servile et molle soumission,
Aux mains d’un dieu terrible et bon,
Sans plus me poser de questions.

Il veillera comme mon père,
Sur mon âme et sur son mystère.
Il répondra à mes prières,
Des mots rassurants d’une mère.

Il guidera ma tête folle,
Sur les chemins de la raison,
Me dira les mots qui consolent,
Des souffrances de la passion.

Il m’apprendra les paraboles,
Qui disent le bien et le mal.
Il mettra dans mes mots sa parole,
Dans mon cœur ses lois cardinales.

A parle :

Comment peux-tu croire qu’un Dieu,
T’as fabriqué à son image,
Qu’il écoute tes plaintes et tes vœux,
Te punit si tu n’es pas sage.


Comment garder cette innocence,
Devant le spectacle du monde.
Comment croire à son existence,
Dans la rage de l’hécatombe.


B parle :


J’ai mal.
J’ai mal du massacre des enfants,
Du regard qu’ils ont en mourrant.
J’ai mal pour l’ange écrasé dans l’ordure,
Pour le juste bafoué qu’on torture.

J’ai mal pour cette souffrance,
Du petit, du faible, du pur.
J’ai mal de trahir leur confiance,
Et de les servir en pâture.

J’ai mal pour l’indifférence,
Qui nous fait piétiner, tête haute,
Replets et repus d’abondance,
Nos semblables sans y voir de faute.

J’ai mal pour cette arrogance,
Toute gonflée de vanité,
La prétention de ceux qui pensent,
Qu’ils méritent l’éternité.

J’ai honte des crimes perpétrés,
Contre le monde et contre l’humanité,
Un sombre tourbillon d’atrocités,
Qu’aucun Dieu des humains ne pourra racheter.

Ma voix résonne dans le ciel vide,
Et se dilue dans le silence.
Nulle trace, nul signe d’un guide,
Rien que le néant de l’absence.

Comment croire à ce dieu perfide,
Qui n’a pour nous qu’une sentence,
La mort, et qu’une quintessence,
Le carnage et l’infanticide.

A parle :

Agonie dans les murs de l’obscur,
Plus de raison et plus de sens.
Tu es ta propre créature,
De douleur et de contingence.

Tu mesures ton impuissance,
A l’aune de ton immanence.
La souffrance est ton existence,
Ta mort est sans conséquence.

Et la « mort de Dieu » te désole.
La « mort de Dieu » te désole,
Mais tu sens encore le poison,
Car tu es toujours en prison.

Son ombre dicte la loi,
Sur ton âme et sur ses droits.
Et bien que n’ayant plus la foi,
Tu demeures au pied de sa croix.

Tu découvres la solitude,
Le mensonge, l’aveuglement,
L’abandon et la servitude
A des règles sans fondement.

Et tu mesures l’imposture,
De vouloir être hors-nature.
Tu dépasses les apparences,
Des masques et de l’inconsistance.

A- Tu as le choix entre Dieu et le néant. Si tu choisis le néant, alors tu deviens ton propre dieu. Un dieu prodigieux et misérable, un dieu du pire et du meilleur, un dieu de génie et de doute, un dieu peureux et follement téméraire.

B- Je n’ai pas le choix. Il m’est devenu impossible de croire au Dieu des chrétiens ou à l’une de ses formes édulcorées et panthéiste. Je ne peux même pas faire le pari de son existence sans savoir que je me mens. Les autres religions me sont étrangères, elles ne me parlent pas…elles viennent d’autres cultures, d’autres mœurs, d’autres morales…

A- Tu es un dieu du néant, seul dans les ténèbres. Ton monde est devenu plat, indifférencié, nu, vide, tout sens a disparu. Tu sombres dans l’angoisse et l’ennui. Tu vas devoir te reconstruire en partant de rien, comme l’univers dans lequel, malgré tes doutes, tu es…

« Seul » La scène disparaît dans l’obscurité et le mot retentit et résonne longtemps.

Deux acteurs se donnent la réplique mais l’un porte le masque du visage de l’autre. Ils ont le même visage.
A est « je », l’esprit, et B est « lui » le corps
Silence et murmures, la voix dans la tête….

A- je pense…silence…

A- Qui es tu, toi en désignant l’autre lui-même.

B- je suis toi, je suis moi.

A- tu ne peux pas être toi et moi, enfin surtout moi. D’ailleurs tu ne peux pas être moi puisque je t’observe et que je ne te connais pas.

B- te connais tu, toi ? Silence

A- non, c’est vrai. Je ne me connais pas mieux que je ne te connais toi.

B- tu vois !

A- mais qui suis-je alors ?

B- tu es moi.

A- non, je ne le suis pas, je ne le veux pas, je veux être moi.

B- tu n’as en vérité pas le choix. Dans le monde matière tu es moi.

A et B parlent ensemble, essayant de se surpasser

A-je suis moi
B-tu es moi (quatre fois)

Le narrateur : « Lui » se place devant un miroir.

B-tu vois ?

A-je vois ça, c’est donc toi ?

B- et toi aussi.

A- mais non, c’est impossible. Je pense, je suis. Je suis un autre que toi.

B- tu n’es rien d’autre que moi, que « ça » comme tu dis.

A- alors tu seras ma créature. Tu seras mon esclave. Tu seras comme un pantin dans mes mains.

B- N’y compte pas trop, car tu dépends entièrement de moi, de mes états, de mes humeurs. Je serai plus souvent ton maître que ton esclave. Bien plus souvent…et d’ailleurs ces mains dont tu parles, elles sont à moi.

A- Tes mains ne sont pas mes mains. Ton image n’est pas la mienne, elle ne correspond pas à ce que je suis, mais elle est pourtant la seule visible. Vais-je devoir supporter d’être toi pour tous les autres ?

B- C’est ça, tu es moi et tu le resteras.

A- Mais tu ne me ressembles en rien. Ce visage, ce corps. Personne ne pourra m’apercevoir derrière cette apparence.

B- Et alors, quelle importance ? Tu penses que tu vaux mieux que moi ? Tu penses être au dessus du monde matière ? Pour qui te prends tu ? Tu n’es qu’un spectateur, un témoin passif.

A- Oui, je suis au dessus de toi. Je sais ta monstrueuse animalité et je te juge. Tu m’es inférieur, c’est évident.

B- Les chiens aboient dans la cave. Tu les entends, tu as peur. Mon animalité, comme tu dis, n’est pas laide. C’est toi ma malédiction.

Tu es comme un parasite. Tu perturbes mon équilibre en jetant le trouble et la mauvaise conscience dans mon azur, qui sans toi resterait sans nuages.

Conscience, raison : ce duo infernal sait exalter mes passions jusqu'à la monstruosité, en les théorisant en d’extravagantes abominations. Par toi, par ta faute, par ta présence empoisonnée, je suis un sur-animal déréglé et dénaturé. Je le sais, je suis un moins-qu’humain. L’humain reste à réaliser.

A- C’est moi qui fais de toi un être humain, c’est ma lumière qui t’a hissé au dessus de la masse grouillante. C’est moi qui t’ai révélé ta condition. C’est encore par moi que tu as conscience de mon existence.

Court silence, puis B reprend avec un ton très doux et soumis

B- Malgré toutes les souffrances que j’endure par ta faute, je ne saurais me passer de toi. Nous sommes deux miroirs qui se font face. Derrière moi règne le monde matière et derrière toi est le monde lumière.

A- Nous sommes comme deux visages jumeaux qui changent perpétuellement d’aspect et pourtant toujours se ressemblent. Nous nous observons sans cesse, à la recherche des signes et du sens. Entre nous se dresse un ondoyant voile de néant, onde trouble, malaise, vision instable, révélations furtives au sein d’entrelacs lucides. Mais toujours et encore le doute, la peur d’être trompés, fourvoyés. Toujours la soif de clarté, de transparence, de lumière, de vérité.

B- Je ne sais pas mentir. Tu le sais. C’est toi le gardien des clefs.

Silence

A- J’ai peur de la vérité. Elle serait pour nous comme un acide mortel.
B- En es tu si sûr ?
A- Les ombres sont menaçantes. Elles ne présagent rien de bon.
B- Tu es comme un enfant qui a peur de son ombre. Au lieu de regarder l’ombre, cherche ce qui la projette.
A- Non. Garde tes secrets, je garderai les miens.

Duo rapide sur un rythme rap…

A commence et B termine la phrase

Je pense… Donc je suis.  
Je pense… Donc je deviens  
Je pense… Donc j’ai peur  
Je pense… Donc j’écris  
Je pense… Donc j’ai honte  
Je pense… Donc j’ignore  
Je pense… Donc je doute  
Je pense… Donc je souffre  
Je pense… Donc je crie  
Je pense… Donc je nie  
Je pense… Donc je ne sais plus  

 

Je consomme… Donc je suis.  
Je désire… Donc je suis.  
J’aime… Donc je suis.  
J’agis… Donc je suis.  
Je baise… Donc je suis.  
Je détruis… Donc je suis.  
Je mange… Donc je suis.  
J’aide… Donc je suis.  
Je construis… Donc je suis.  
Je souffre… Donc je suis.  
Je m’ennuie… Donc je suis.  

B- Je veux devenir ce que je suis

A- Nul ne peut réaliser ce qu’il est. Cette belle formule ne veut rien dire. Au fond de toi, tu n’es rien que ne soit tous les autres hommes. L’individu est une chimère romantique. Au lieu de sacraliser un patchwork hétéroclite invente un mode d’être qui justifierait ton existence et en même temps celle de toute l’humanité.

B- Comment justifier une chose manifestement insensée et inutile ?

A- L’existence n’est pas une chose, ne la contemple pas de l’extérieur. L’expérience des autres est pour toi inutile. Tu dois découvrir ton implication intime. Tu verras que le sens ultime que peut prendre une existence humaine est d’y participer avec une totale et absolue sincérité, en voulant ce que l’on veut et en reconnaissant l’exception de l’être-au-monde comme un présent que nous devons recevoir avec gratitude.

B- Gratitude ? Qu’y a-t-il de si précieux dans l’existence ?

A parle :

Avant nous, avant l’être, il y a longtemps, un abîme de temps, une éternité qui ne peut pas parler à notre esprit ; il n’y avait rien, ou presque rien, un nucleus, un œuf, un noyau, une graine, un germe, une spore, un sans-nom…

Comme un être humain vient tout entier d’une seul cellule, l’univers qui nous contient sortit de ce sans-nom et s’épanouit comme une grande et fascinante fleur. Nous sommes conscients d’être et conscients de cette conscience. Nous participons malgré nous à cet étrange aventure, immergés dans un mystérieux cosmos.
Comment cet événement inimaginable, comment cette situation fabuleuse peut-elle céder la place dans nos esprits à des choses laides, triviales, mesquines ou pire encore : à l’ennui ?

(A et B redeviennent blanc et noir comme au début)

B- D’après toi (soupçonneux), l’être viendrait du néant ?
C’est absurde, impossible. Le feu ne peut naître de l’eau, ils sont contraires, par essence.

A- L’être ne vient pas du néant. Mais d’un être invisible dont nous n’avons pas conscience. Pour l’humain, l’être vient du vide.

B-le vide et le néant ne sont-ils pas deux mots qui désignent la même chose ?

A- Il y a un « être » qui n’est pas pour nous, qui n’est pas pour nos sens, ni notre entendement. Pourtant il « est », bien qu’échappant à notre connaissance. Je le nomme : non-être.

B- Ce non-être n’est ce pas le néant ? Il lui ressemble tellement.

A- Le néant est l’absence d’être. Le non-être « est » mais nous reste invisible et sans doute inconnaissable.

B- Et que peux bien contenir le non-être ? (Narquois)

A- L’envers du décor, le reste de l’être, ce qui le complète pour qu’il soit opérationnel.

B- Et le néant ?

A- Il est partout autour de l’être.

B- Que pense la science de ton étrange théorie ?


A parle :

L’œil fouille le grand et le petit,
Scrute le dedans et le dehors,
Quel que soit l’angle qu’il choisit,
La vérité se cache et nous fuit.

Le tao dit que la recherche est vaine
Qu’il est mieux de laisser venir.
Mais patience est une grande peine
Pour la conscience qui va mourir.

Chœurs : Le néant est la condition de l’être.

Le grand Charles Baudelaire me prêta quatre vers,
Pour dire avec mes mots mon amour de la terre,
Et la douce musique que l’on disait des sphères.


La nature est un temple où de vivants piliers,
Murmurent en secret d’étranges paraboles.
Leurs mots disent des choses que l’homme a oubliées,
En bâillonnant son âme de bruit et de paroles.

Comme de longs échos qui de loin se répondent,
Bruissent muettement des êtres par milliers,
Et leurs chants s’associent en harmonies fécondes,
Dont les volutes tanguent en sombres mélopées.

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent,
Stridulants, chuintant en voiles cotonneux,
Et l’esprit s’engloutit dans la magie du monde,
Pour goûter les délices d’un être fabuleux.

Qu’y a-t-il de meilleur que d’être oublieux,
De sa nature d’homme et rejoindre les lieux,
Où la mémoire garde les glyphes mystérieux,
Qui touchent la lumière que certains nomment Dieu.

B parle :

Et le grand Jean-paul Sartre me prêta quatre mots,
Qui mûrirent en silence, se mêlant au chaos,
Puis refluèrent en moi par d’étranges échos.


Le sujet est un néant d’être,
Au fond de moi il y a un trou.
Mon moi est juste un paraître,
Le néant se masque, c’est tout.

Si on refuse à mon moi d’être,
Autre chose qu’une place vide,
Dans ce creux puis-je au moins y mettre,
Ma petite flamme limpide.

Si je suis victime d’un verbiage fou,
Regard aveuglé, fasciné, stupide,
Je veux retrouver le langage doux,
Qui fait de l’esprit un chaos splendide.

Je n’ai pas envie de discours lucides
De palabres savants que tiennent les fous.
Je veux la beauté simple et candide,
Des volutes bleues et des rendez-vous.


A- tu as la sincérité d’un être véritable.

B- Que faut-il pour construire un être véritable ?

A- Sa matière première est la vérité.

B- Tu es obsédé par la vérité. Elle me séduit moins que le secret. Comment trouver cette vérité ? Où la chercher ?

Chœurs- Au plus profond de la psyché,
La recherche de la vérité,
N’est elle pas une stupidité ?

A- Lorsque tu t’offriras, elle viendra t’habiter.

B- Il est donc inutile de partout la chercher ?

Tu penses que dans un esprit vacant elle viendra d’elle-même se loger ?

Je pense, pour ma part, que l’esprit humain ressemble à une marmite. Il contient une sorte de « soupe primitive». Bouillon clair ou épais ragoût, en fonction de la recette que l’on a décidé de réaliser. Il peut mijoter doucement ou encore bouillir et même déborder. Les humeurs et les fluides, les sucs et les liqueurs s’y mêlent, s’amalgament, s’associent comme des ingrédients culinaires en une complexe chimie organique. Nous remplissons sans cesse ce fumant cratère, où se forment les éléments primaires de notre vie psychique. Nous y jetons pêle-mêle nos apprentissages, nos émotions, nos petits riens, nos affects, nos visions, nos sensations, tout ce que nous picorons en papillonnant dans le monde. Cela conditionne à la fois notre tonalité affective, notre façon de lire la réalité, mais aussi notre créativité.

A- Ta créativité, oui, c’est d’elle que viendra ta vérité.

B- Mais où trouver les germes la vérité,
Même fantasme et subjectivité ?
Les lumières éblouissent, on ne voit rien.
Les ténèbres confondent, on ne voit rien.
Le dehors est opaque,
Le dedans est obscur.
Je suis cerné par les murs…



A parle :

La vision de la vérité
Est une lumière obscure.
Elle apporte « félicité »,
Une onde d’immensité pure.
La vision de la vérité
Ne naît que d’une rupture,
De nos certitudes formatées,
D’un heureux oubli de censure.
La vérité est une blessure,
Qui nous arrache à notre sommeil.
Notre quiétude alors se fissure,
Aux rayons de ce sombre soleil.
La vérité est une blessure,
Qui laisse une fine cicatrice.
La trace endormie d’un signe futur,
Dans l’attente d’un moment propice.


Chœurs - « Le vrai est un moment du faux »
« Le faux est un moment du vrai »


Dialogue entre le vrai et le faux. Ils portent le même masque à moitié blanc et à moitié noir. Ils voudraient passer l’un pour l’autre et ne savent absolument pas ce que signifie le vrai et le faux.

A- Je suis le vrai,

B- Je suis le faux,

A- Je dis seulement ce qui est,

B- Je suis l’erreur du cogito,

A- Qui donc ici écoute le faux ?
Ce n’est pas l’électron, la planète, ou l’oiseau,

B- Seulement les humains qui en font toujours trop,
Exaltant la raison en lui faisant défaut.

A- Qu’est ce le vrai ?

B- Qu’est ce le faux ?

A et B ensembles- Ne sont-ce pas seulement des mots ?

B parle :

Des mots, il y en a partout,
Ils m’encerclent jusqu’au dégoût,
Ils façonnent toutes mes pensées,
Sont-ils donc tout ce que je sais ?

Mes mots s’épanchent en pluie,
Sur l’univers comme une maladie,
Tout ce qu’ils touchent s’anéanti,
Sont-ils donc tout ce que je suis ?

Mon lexique est ma liberté,
Clôturant les terres de mes idées,
Il contient mes mots, mon logos privé,
Sous chacun d’eux : un monde, un écho et un sens caché.

Ils dansent en farandole,
Nuit et jour, sans aucun contrôle,
D’où viennent-ils et qui les dit ?
Ces voix n’ont donc pas de répit ?

J’ai l’impression d’être un parloir,
Un marché, ou bien une foire,
Une foule bruyante s’y presse,
Où se côtoient toutes les espèces.

Je l’observe à la dérobée,
Caché dans l’ombre, sans me montrer,
Ils pavoisent, pérorent et hurlent,
Ils pontifient, s’apostrophent, s’insultent.

Parfois quelqu’un semble me voir,
Et alerte tout l’auditoire,
Ils veulent savoir qui je suis,
Et pourquoi je me cache ainsi.


Mais je suis un badaud anonyme,
Au cœur de mon peuple intime,
Une vision sans consistance,
Une apparition fugace et fuyante.

Un autre que moi règne en maître,
Et son langage n’est pas le mien,
Je n’ai pas le courage de le connaître,
C’est un sombre et sauvage souverain.

Tout en bas dans les profondeurs,
Des voix murmurent dans le noir,
Mais leurs mots n’ont plus aucun sens,
Pour ma pensée et ma conscience.


(La voix devient un murmure pour une mise en reflet du spectacle, un narrateur caché parle lentement…)

Il y a une scène immense,
Le décor y change sans cesse,
Au rythme du tambour infatigable du temps,
Lumières et bruits, Nuits et silences,
Millions d’acteurs et de figurants,
Millions de spectateurs,
Myriades de mots et de cris,
Cascades, effondrement d’événements,
Une chute mortelle en avant,
Tout est pluriel, tout est légion,
Je distingue quelques visages,
Mais la plupart me tournent le dos,
J’ai aperçu quelque chose,
Cela m’a semblé incroyable,
Mais un homme s’est levé
Me masquant le spectacle,
Peu importe,
J’ai manqué le début,
Je partirai avant la fin.
Que disent-ils ?
Je n’entends rien, je comprends mal.
Quelqu’un peut-il m’expliquer ?
Leurs mots sont déformés, leurs gestes étranges.
J’y vois mal, Assis devant !!!
J’ai peur soudain, pourquoi ?
Je n’en sais rien.
Un visage se tourne vers moi,
Un sourire, j’ai chaud, tout va bien,
Il y a un labyrinthe, des lieux, du temps, des bavardages, des codes, des règles…
Labyrinthe de mémoire, labyrinthe d’idées, de sens alambiqué,
Des souvenirs, des rêves…
Presque rien n’est visible,
Mais déjà trop complexe, trop laid, trop riche,
Trop grand, trop beau, trop parfait, trop absurde,
Dialogues opaques, monologues à deux,
Multitudes de pages qui se contredisent,
Et le programme du spectacle est illisible,
Le programme est illisible…
Comment ne pas s’endormir ?
Les autres baillent et s’étirent,
Le spectacle est dans la salle…


Chœurs : « Nous parlons jour et nuit, nous parlons sans cesse »


B parle :

Au plus profond
Existe un monde
Qui ne connaît pas mes mots.
Un monde où se montre
Ce qu’aucun mot ne peut dire.
Un monde de pensée ancienne,
La pensée d’un autre langage.
Un monde de pensée nouvelle,
La pensée d’un nouvel age.

Dans ce monde muet, il y a d’autres mots,
Des mots silencieux et sans formes sonores,
Des mots durs et tranchants, des mots fondamentaux,
Des choses qu’il vaut mieux que la conscience ignore.

Ils usent du langage des quatre éléments,
S’expriment sans détour et aucun d’eux ne ment,
Ce dialecte très pur, d’eau, de feu et de vent,
Est celui des poètes, des fous et des enfants.

B- Il y a en nous un monde secret qui ne s’exprime que par détours et métaphores.

Chœurs : Le monde-pour-l’humain est une métaphore du réel.

A- L’esprit-corps est un inconnu pour l’esprit-conscience. C’est un territoire sauvage, effrayant et primitif où peu d’entre nous osent se risquer.

B -Qu’irions nous y faire ? Nous sommes au dessus de sa sinistre animalité.

A- Nous le surplombons tellement qu’il nous réduit à l’état de témoins impuissants. Lui seul existe dans le réel alors que nous divaguons dans le phantasme.

B- C’est par nous qu’advient l’être humain ?

A- Mais nous sommes comme un parasite, perturbant et corrompant ce qui était sans défaut.

B- La conscience est donc un défaut ?

A- Le pire de tous, le péché originel. C’est la conscience qui nous tient éloigné de l’être.

B- Ma conscience est ce par quoi j’explore l’être. Sans elle, je n’existe pas et plus rien n’existe.
A- Le monde existe sans témoin et ce dont tu es témoin n’est que le « monde-pour-l’humain ». C’est un réel totalement subjectif. C’est une représentation.

B- L’esprit-corps peut il m’enseigner des choses sur la réalité.

A- Bien des choses, en effet, et tu dois le laisser s’exprimer, sans le contredire et sans le censurer. L’art est une façon de le laisser parler…

B- Oui, c’est cela ! Voila ce que je veux. Je serai un artiste.

Chœurs : « L’art est un pur désir de désir »

B parle :

Je veux oublier la misère,
La sale blessure d’exister
Je veux fuir les larmes amères,
La crasse d’une chair humiliée.


J’ai un pur désir de désir,
Un pur désir de désir,
Et j’ai envie de jouir,
De jouir jusqu’à mourir.

J’ai envie de sentir,
Monter cette chaleur,
M’envahir ce bonheur,
Qui saura me guérir,
Qui calmera ma peur.

Je veux goûter au fabuleux
Je veux nager dans le sublime
Vivre et me fondre dans l’inouï
Ne connaître que l’air des cimes.

Chœurs- Plus explorateur effaré
Que savant pourvoyeur de sens,
L’artiste montre un ordre caché
Et digère plus qu’il ne pense.

Je veux vivre de la lumière
De l’esprit, du noble et du beau
Et offrir à ma muse fière
D’ineffables et merveilleux joyaux.

Je veux quitter cette caverne,
Je veux sortir de cette cave,
Quitter le triste et le terne,
Les fronts plissés, les mines graves.

Je veux voir le soleil en face,
Au risque de brûler mes ailes.
Je voudrais que les vents m’enlacent,
Me perdent dans le bleu du ciel.


Je veux explorer les possibles,
Comme autant de recours à la mort.
Arpenter au-delà du sensible,
Les chemins cachés du dehors.

Chœurs- Plus explorateur effaré
Que savant pourvoyeur de sens,
L’artiste montre un ordre caché
Et digère plus qu’il ne pense.

Ces territoires fabuleux
Ne se prêtant pas aux discours.
Sont les inévitables lieux,
De toute pensée de détours.

Ces territoires somptueux,
Jalonnent de mots leurs parcours.
Et des chemins vertigineux,
Le logos trace les contours.


Lumière aveuglante au sommet de la tour,
Horizons basculants, vertiges sans limites,
Que les sages anciens viennent à mon secours,
Et m’épargne la honte d’une nouvelle fuite.


Destruction ordonnée et que rien ne subsiste,
Je veux me reconstruire sur de nouvelles pistes,
Renaître de mes cendres si cela est possible,
Etre un humain nouveau, attentif et sensible.

Chœurs- Plus explorateur effaré
Que savant pourvoyeur de sens,
L’artiste montre un ordre caché
Et digère plus qu’il ne pense.


Plus fort, comme un slogan de manif :
L’art est une énigme qu’il ne faut pas résoudre.
L’art est une énigme qu’il faut ne pas résoudre.


A parle :

L'enfant marchait au bord de l'immense océan.
Il se pencha et ramassa une pierre sur le sable.
Elle était belle, plate et douce. Le soleil l'avait chauffée et l'enfant la soupesa longuement en contemplant la plage déserte.
Puis il reporta son attention sur la pierre.
Elle se ramollit sensiblement, se prêtant au modelage. Elle prit peu à peu forme.
Plumes, poils, bec et griffes se succédèrent et finalement un frêle oiseau s'envola dans l'azur infini.
L'oiseau se livra à mille acrobaties, essayant ses nouvelles ailes, éprouvant sa vie.
Il monta plus haut dans le ciel, s'enivrant de puissance, se grisant de liberté. Le frêle oiseau grandit, il devint un aigle et vit l'enfant seul sur la plage.
L'aigle plongea sur l'enfant, lui creva les yeux, laboura son visage d'ange et le laissa pour mort…

Chœurs :
L’artiste est un homme oiseau,
Il nous montre, il soigne nos maux.
Il éloigne nos pensées des tombeaux,
Et sèche nos brûlants sanglots.

L’artiste est un serrurier,
Il ouvre des portes,
Il forge des clefs.

A parle :

Il nous conduit d’un signe à la source de l’être,
Des formes inconnaissables et de leur « apparaître ».
Il transmute en vision les éléments terrestres,
En formes imaginales qui nous donnent à connaître,
Les visages et les rythmes que son regard pénètre.
Dans son âme en fusion dont il reste le maître,
L’infini, les cosmos, la psyché s’enchevêtrent,
En un magma fertile duquel tu feras naître,
Un nouvel univers avant d’y disparaître.

Chœurs : « L’art est connaissance par les gouffres »

L’œuvre surgit
Emergence d’un monde infini
Dans le vase obscur
D’un enfermement.

Apparition furtive
Découvertes fortuites
Aux sombres pouvoirs de révélation
Noire fascination d’un être tout proche
Restant invisible et inconnaissable.

Ton œuvre d’art me dit
Ton œuvre d’art te dit
Une flèche-vecteur dans ma vie,
Une flèche-message d’utopie.

Quelle obscure alchimie
A produit ce miracle ?
Par quels sombres tropismes
Signes et mots s’assemblèrent,
Pour tracer dans mon âme,
Le parcours du mystère.

Glyphes d’un labyrinthe
S’enfonçant dans l’obscur
Aussi doux qu’une étreinte
Elixir fort et pur.

Tourbillon callistique,
Vertige basculant des abîmes,
Parcours initiatique
Chemin de crête vers les cimes.

Chaos d’ego et d’agnostique,
Elan fabuleux et épique,
Je découvre ton cosmos intime,
Dans un détail noyé, infime.

Chaque achèvement est ultime
Tracés en creux, énigmatiques
Empreintes noires cabalistiques,
Des témoins, bourreaux et victimes.

Tu te dis ce que tu veux savoir,
Tu te racontes l’envers du miroir,
Mais ton miroir est reflet de miroir,
Comment puis-je espérer te voir ?

J’aime me blottir en ton sein,
Prendre ton rêve pour le mien,
Glisser un souffle dans l’oubli,
Un soupir de néant sur ma vie.


Me perdre au cœur de ta vision,
Ce n’est pas forcement ta mission,
Peu importe tes vraies raisons,
Ta flèche est avant tout un don.


Chœurs : « Il faut opposer la splendeur à l’utile »

B parle :

Je souhaite opposer au malheur,
La beauté éphémère et futile,
Du malstrom de l’enchanteur,
Du charme que son chant distille.

Je veux opposer à l’utile,
La splendeur du monde sensible,
Sa débauche, son luxe fragile,
Sa vérité inaccessible.

Explorateur de l’existence,
Adepte naïf de l’errance,
Ebloui par la luxuriance,
De l’être et de sa puissance.

Je veux recevoir cette offrande,
La goûter dans sa transcendance,
De miracle ou de farce gourmande,
La prendre comme une récompense.


Il y a dans ce monde mystère,
Une énigme fertile, aurifère,
Une mélodie d’or et de lumière,
Grimée d’un affolant bestiaire.

Il y a sous ce monde matière,
Des murmures faisant la promesse,
D’une vérité belle et singulière,
Et de ces aveux je cherche l’ivresse.

Je veux célébrer l’existence
Résonner, m’emplir de son chant
Devenir une sur-conscience
Plutôt que de tendre au néant.

A parle :

Tu penses être un humain libre,
Mais tu es un être enchaîné,
Asservi par le vouloir-vivre,
Abruti dans ta subjectivité.

Tu penses être un humain sensible,
Mais ton esprit est prisonnier,
Dans la cage aux barreaux invisibles,
D’un imaginaire enfermé.

Crois-tu pouvoir te délivrer,
Des ombres de leur autorité,
Et voir tes rêves s’envoler,
Dans le ciel de la pureté.

C- Mais de quoi parles-tu ?


Chœurs : « La TRINITÉ du monde moderne »


Chœurs : Synchronisation

Unité de temps sur toute la planète.
Simultanéité des évènements et des informations.
Nous sommes tous synchronisés comme les automates d’un process industriel. Nos labeurs s’enchaînent et se réclament. Ils se poussent les uns les autres dans une trépidante ronde planétaire.

Chœurs : Standardisation

Ce mot a toutes les vertus. Il est le fondement de la consommation de masse. Il est le fondement de la société égalitaire et démocratique. Il est le fondement des systèmes dit de « Qualité » qui justifie l’existence des improductifs théorisant le travail pour ceux qui l’accomplissent.
Il s’applique à tout et surtout aux hommes.
Le consommateur, autant dire l’occidental moyen, doit se standardiser pour avoir envie du même produit que tout le monde et seulement de celui-la.

Chœurs : Cybernétique

Nous sommes enfermés dans un réseau, étroit et surveillé, de règlements et de devoirs. Prisonniers d’un chronométrage précis alloué à chaque activité. Conditionnés en permanence par une dynamique générale de consommation, de satisfaction superficielle de désirs matériels et artificiellement provoqués. Nous vivons comme des robots en pensant que c’est la meilleure des conduites sociales. Nous ne connaissons rien à la liberté et nous la refusons sans doute.


Tous ensembles : Synchronisation, standardisation, cybernétique.


Chœurs : « Le feu qui libère et qui purifie »

Je veux brûler dans mon esprit
Toute trace de servitude
Détruire et jeter aux orties
Tous les masques de certitudes.

Je veux faire tabula raza
Jeter à terre tous les murs
Revenir à un ancien moi
A la tête baigné d’air pur.


A regarde en l’air

A- Que fais-tu sur le grand plongeoir ?

B- Je l’observe, je l’étudie. Tu vois, j’ai des notes, des dessins et déjà quelques théories innovantes.

A- Tu sais plonger d’aussi haut ?

B- (stupéfait) Plonger ? Non voyons ! Je suis ici pour étudier.

A- Et que cherches tu dans l’étude du plongeon ?

B- Je ne sais pas vraiment, mais j’ai l’intuition qu’il pourrait changer ma vie. Ce doit être tellement merveilleux d’évoluer entre ciel et terre.

A- Tu vas donc plonger ?

B- Non.

A- Comment peux-tu étudier le plongeoir sans faire quelques plongeons ?

B- Je peux ! Je regarde les autres plonger. Je fais des mesures que j’analyse, et j’ai lu tout ce qu’on a pu écrire sur les plongeoirs et le plongeon.

A- Mais pourquoi ne plonges-tu pas ? Y’a-t-il meilleure manière pour connaître que de faire l’expérience par soi-même ?

B- Non, j’ai peur, c’est trop haut…j’ai peur.

A- Tu ne plongeras donc jamais.

B- Jamais.

A- Alors pourquoi étudier le plongeon ?

B- Pour savoir si je veux savoir.

A- Savoir quoi ?

B- (exaspéré) Ce qu’est le plongeon.


A parle :

Si tu veux savoir et connaître,
Tu dois impliquer tout ton être,
Tu dois t’identifier à ta quête,
De manière totale et concrète.

Si tu veux que ton regard pénètre,
Un peu plus loin derrière le paraître,
Et faire de ta vie une fête,
Plutôt qu’une molle disparition distraite.

Si tu veux chaque jour renaître,
Libre et heureux, sans dieu, ni maître,
Riche d’un bien qu’on ne vend, ni n’achète,
Humain réalisé, plein d’une joie muette.

Alors fais de tes jours un voyage sans fin,
Et oriente tes pas vers tes propres chemins,
Loin des loisirs futiles et des distractions vides,
Loin des esprits comptables et des marchands cupides.

B- Depuis longtemps déjà je cherche à faire de tous les instants de ma vie des œuvres d’art, des performances exemplaires. Mais le temps passe et cette attitude m’apparaît chaque jour plus artificielle et égocentrique. J’observe le monde qui m’entoure en suivant une spirale me prenant pour origine. Cette douce jouissance, du grand, du noble et du beau se teinte de plus en plus de la suie sombre de la réalité. Je ne peux continuer de vivre dans un univers qui n’existe que pour moi et quelques privilégiés, un univers de simulacres qui n’avait d’autres but que de combler l’ennui mortel qui m’envahissait. Je ne fréquentais que des gens oisifs, faux, bourgeois, superficiels. Des gens qui ne vivent pas vraiment. Ils voient la vie au travers d’un écran de virtualité esthétique et dialectique. Ils voient toutes choses au cœur d’un référentiel publicitaire et artistique. Ils ne voient les humains que dans la lumière tamisée des conversations de table, conversations spectacle, par des enquêtes, des statistiques, des essais philophico-anthropologiques. Ils n’ont pas de réelle expérience de l’humain, parce que l’humain leur fait horreur. Ils ne savent rien de la faim, de la peur, de la souffrance physique qu’ils redoutent par-dessus tout.

Suis-je encore l’un d’eux ?
Suis-je encore l’un d’eux ?

J’ai pris la beauté sur mes genoux et je l’ai trouvée laide, et je l’ai insultée, et j’ai décidé que j’allais m’en passer.

Qui se soucis de la beauté ?
Qui peut perdre son temps à de pareilles occupations ?

Sûrement pas ceux qui souffrent, jour après jour, esclaves soumis aux diktats d’une société castratrice et mortifère, d’un mirage, d’une supercherie à l’allure de démocratie dissimulant un dispositif hypnotique destiné à l’aliénation des masses.

L’art est avant tout un commerce, comme tout ce qui existe, ou presque dans notre monde.

Rimbaud avait lui aussi posé, un soir, la beauté sur ses genoux pour lui dire que leur amour avait vécu et qu’il était temps pour lui de vivre dans le « vrai » monde, celui qui est poésie au-delà des mots et des formes maniérées des hommes.

C’est ce genou qui le ramena à Marseille, des années plus tard, pour y mourir. Rimbaud, l’un des plus grands amants de la beauté, une âme pure et radicale, incarnant le refus du conformisme, le refus de la paresse intellectuelle, le refus du consentement à mourir lentement dans la médiocre satisfaction du « ça ».

Chœurs :

Refus de l’ordre et de la conformité
Refus de l’obéissance
Refus de l’aliénation à la chose
Refus de la manipulation politique et marchande
Refus de l’art comme marché, comme occupation de nantis, comme simulacre d’une action inaccessible.

A- Je constate, avec tristesse, que tu ne crains pas le radotage de clichés poussiéreux et éculés jusqu’à la corde.

B- Que veux-tu dire ?

A- Je veux dire que, depuis toujours, tu te vautres dans cette existence que tu dénonces aujourd’hui. Tu fantasmes sur une autre vie que tu es incapable d’assumer. Tu rêves d’être quelqu’un d’autre et d’avoir encore quelque chose à espérer. Tu n’as plus de rêves, plus de projet. Tout ce qui te faisait jouir t’écoeure à présent. Alors tu imagines un autre toi, riche d’un monde authentique et neuf, riche d’une réelle implication dans l’existence. Ta vie n’est qu’un rêve, une simulation, une parodie virtuelle…

B- C’est faux, je profite pleinement de la vie. J’ai réussi ma vie. Bien d’autres, des plus prometteurs, n’ont pas aussi bien réussi.

A- Ah oui ! de quelle réussite parles-tu ?

B- Dois-je donc me justifier ? Ma réussite est évidente. Je suis reconnu dans mon travail. J’ai des responsabilités que j’assume sans difficultés. J’ai une famille qui me fait honneur, j’ai un petit patrimoine et des revenus qui nous autorise une vie confortable, sans soucis matériels. N’est ce pas cela qu’on appelle la réussite ?

A- C’est donc à cela que tu pensais en parlant de réussite ?
Pardon, j’imaginais que tu plaçais la barre un peu plus haut.

B- En voila des sous entendus !
Mais je pense que tu serais bien en peine de me dire en quoi j’aurais pu mieux réussir.

A- Il me semble retrouver dans les fonds des plus lointains tiroirs des ébauches de projets qui avaient une autre allure.

B- Il est bien dommage que tu fouilles encore là-dedans et qu’on ne puisse vider définitivement ces vieux tiroirs pour en brûler le contenu. A quoi nous sert de conserver ces vieux souvenirs, ces mensonges qui ne sont là que pour nous faire croire que nous voulions autre chose.

A- C’est cela. Tu voulais autre chose…

B- Non ! Rien d’autre en vérité.
Si je l’avais voulu je l’aurais réalisé.

A- Tu as donc réalisé ton idéal de vie ?

B- Et toi, tu as décidé de me tourmenter ?

A- Il n’est pas trop tard. Il n’est jamais trop tard pour enfin devenir ce que l’on est.

B- Je ne peux pas être ce que je suis parce que le monde n’est pas tel que je voudrais qu’il soit.

A- Pendant le peu de temps que nous vivons sur cette terre, pourquoi vouloir réduire le monde humain à nos tristes et absurdes caricatures.

B- Je suis une caricature de ce que je ne voulais pas être. C’est ça ?

A- Alors pourquoi l’es-tu ?

B- Je suis tombé dans une ornière, j’ai suivi les rails. J’ai préféré les voies dégagées et bien éclairées aux sentiers tortueux et obscurs.

A- Qu’est ce qui a changé ? Tu n’as plus peur de sortir de l’ornière ?

B- Oui, je veux exister autrement et pour autre chose.

A- Tu penses en être capable ?

B- Je ne sais pas mais qu’ai-je à perdre d’essayer ?

A- Tu pourrais tout perdre.

B- Je ne vais rien risquer.

A- Si tu ne risques pas tout, tu ne changeras rien.

B- Je ne risquerai que le monde de mon esprit. Je vais le mettre en pièce, tout nettoyer et tout reconstruire.

A- En voila un beau projet.

B- Il n’y en a pas de plus beau.

A- Comment vas-tu t’y prendre ?

B- Je vais partir à la recherche de l’enfant en dispersant ma charge au hasard du désert.

A- Qui te servira de guide ?
Encore et toujours les mêmes voix de papier pour ouvrir des voies d’existence.

B- Mes Maîtres ont mûris en moi, un nouveau sens se dégage. La graine plantée il y a longtemps va pouvoir germer.

A- Il ne lui manque que du soleil.

B- L’Autre, l’amitié, l’amour, pourquoi pas, au risque d’en garder quelques brûlures.

A- L’Autre, le miroir…


B parle :

L’Autre me menace.
L’Autre me fait peur.
L’Autre est un mystère.
L’Autre est mon cauchemar.
L’Autre me gène, il est bruyant, grossier et il me marche sur les pieds.
L’Autre est un malappris qui ne respecte rien et qui n’a rien compris.
L’Autre me méprise et se moque de moi.
L’Autre me désigne mes désirs.
L’Autre me dit qui je suis.
L’Autre est en moi, il s’insinue, il s’infiltre.
L’Autre, c’est moi.
Mais où donc est « je » ?
Nous, toujours nous, je n’aime pas les miroirs
Car alors je le vois.
Sans miroir, il n’y a plus que moi.
Mais Moi, n’est ce pas aussi nous, je ne sais plus…

L’Autre c’est aussi toi, et tu n’es plus tout à fait l’Autre.
Toi qui m’a vu parmi des milliers,
Toi qui m’a regardé, toi qui m’a parlé,
Toi pour qui j’existe, toi qui m’a confirmé dans mon existence,
Toi qui est entré en moi comme une nouvelle instance,
Qui juge mes pensées même en ton absence,
Qui contrôle mes actes, règne sur ma conscience,
« Je » n’a de sens que par « tu »,
Sans « toi » je n’existe plus.
C’est par toi que je communique avec moi,
A travers un brouillard de mots,
A travers nos chants aux brutales cadences,
Aux grinçantes harmonies.

J’aime ton visage.

Je ne sais pas pourquoi j’aime tant ton visage,
Je crois qu’il est pour moi comme un ange gardien,
Et même si parfois passent quelques nuages,
Ton visage est un ciel presque toujours serein.

Dans tes yeux lumineux, j’aperçois les présages,
Qui dictent ma conduite, me rendent doux et sage,
Je vois de l’eau, du feu, des lacs, des paysages,
Qui me comblent d’espoir, de force et de courage.

Ta bouche silencieuse, close, d’un éclatant carmin,
Est un fruit délicieux à la splendeur sauvage,
Qui épanche en rosée ce que ton cœur contient,
Mais se garde toujours des bruyants bavardages.


Pourquoi ce visage est il mon visage ?

Son visage est Mon visage

Qui peut me dire où est l'endroit ?
Qui peut me dire où est l'envers ?
Dans les miroirs que je tutoie,
Quand je suis pourtant solitaire.

Images qu'ils s'envoient,
Images qui se libèrent,
Lequel des deux est moi,
Lequel est son revers.

Celui qui me considère,
L’image que le miroir renvoie,
Est-ce lui qui me voit à travers,
Le verre translucide et froid.

L’envers ou l'endroit,
L'endroit ou l'envers,
Pourrais-je te toucher du doigt,
Frère d'un autre univers.

Nos vies se tiennent au travers du cristal.
Veux-tu te libérer de moi ?


Nos Visages

Et toi !
Comment me connais-tu ?
Que sais-tu de moi ?
Nous passons essentiellement par les mots que nous échangeons,
mais aussi et surtout par ce que se disent nos visages.
Ce qu’ils jouent, ce qu’ils veulent faire croire, ce qu’ils révèlent,
ce qui leur échappe et qu’ils ne peuvent contenir.
Nos corps se parlent aussi. Ils ont leurs moments de vérité et sont moins adroits pour le mensonge.
Avant la conversation des corps, les visages doivent se reconnaître,
se lire et se livrer dans leurs mensonges ou leur vérité.
Pas de mots des corps sans les mots des visages.
Tu me regardes.
Tu lis sur mes traits.
Tu y places des intentions.
Tu me prêtes des sentiments.
Tu imagines mon âme,
Et ce qu’elle te réserve.
Tu sais que je mens, peut-être…
Tu sais que je joue,
Et tu penses savoir,
Lire dans mon jeu.
Si mon regard disparaissait,
Si je perdais mes yeux,
Qu’on les remplaçait
Par des yeux de verre.
Si mes yeux n’étaient plus
Que deux boules aveugles
Masses froides et immobiles.
Saurais-tu encore lire ?
Verrais-tu encore la lumière,
La lumière qui vient de mon âme ?
Serai-je encore visible
Derrière la chair tuméfiée
De mon visage défiguré ?
Que serai-je pour toi
Caché par la laideur ?
Que seras-tu pour moi
Réduite à une voix ?
Et moi, je deviendrai
Ce que tu vois en moi.
Je deviendrai
Ce que tu décideras
Pour moi.
Devenu laid
Mon âme deviendra t’elle laide
En imaginant ton regard
Qui me dira : (changement de voix)
Celui que j’aimais avait un autre visage.
Il avait un visage qui disait son être
Un visage qui portait les signes lisibles
De son humeur et de ses sentiments.
Un visage fonctionnel
Pourvu des indicateurs indispensables
De ce que je peux être pour toi
De ce que tu peux être pour moi.

Mais…

Tu es mon œuvre d’art
Tu es mon ready-made
Juste pour moi
Juste pour un moment.

Amour-femme

Tu portes une résolution muette,
Dans la graine d’or de ton cœur,
Tu sais l’indicible secret de l’être,
Par toi, jamais la lumière ne meurt.

Nul besoin de frileuse conscience,
Pour choisir l’élu de ton ventre,
Les mots sont sans grande importance.


Seulement attiser la fournaise,
Utile aux fusions biologiques,
Dieux mortels façonnant dans la glaise.


Bio-glyphes mijotant au secret éternel de la vie,
Yin et yang se mêlant, disparaissent, s’annihilent et renaissent,
Soleil tiède transmutant l’ancien en nouveaux éléments,
Sans esprit, sans conscience, l’Ars Magna s’accomplit.


Le miracle mûrit en silence,
Lentement s’épanouie le fruit,
Unique objet de ton espérance,
Femme de chair fertile et de nuit.

Tu es prêtresse du grand mystère,
Par toi s’exprime la création,
Peut-on être plus, ici bas, qu’une mère ?
Rien d’autre n’approche cette perfection.

Ton corps cache en son sein le merveilleux secret,
De tout ce qui était et de tout ce qui est,
Conscience s’interroge, esprit reste muet,
Mais au fond de ton âme, tout cela tu le sais.

Femme, ombre et silence, farouche, pieds en terre,
Traversée par le flux des forces élémentaires,
Creuset involontaire, instrumentalisée,
Au chant de l’univers se mêlent tes prières.


Amour-idéal


Je t’aime,
Par pure nécessité,
Comme on peut aimer le soleil,
La pluie, l’océan ou le ciel.

Je t’aime,
Par instinct de survie,
Pour ne pas trop souffrir,
Pour ne pas mourir tout de suite.

Je t’aime,
Par gourmandise,
Pour pouvoir me repaître de toi,
Puiser ta force, manger ta chair.

Je t’aime,
Par fatale indigence,
Contraint par le sinistre simulacre,
De ma misérable existence.


Je t’aime,
Sans trop savoir pourquoi,
Mais rien n’existe ici sans toi,
Et sans toi plus rien n’a de sens.


Je t’aime,
Par aveuglement,
Condition indispensable,
De l’amour.

Amour-enfant

J’ai un enfant.
C’est un enfant soleil.
Il ne sait pas vivre dans le silence,
Ni dans la solitude.
Il aime le bruit, le mouvement, les simulacres.
Il danse sous la pluie,
Dans le vent et sous le soleil.
Il crie sous le ciel.
Il crie sous la lune.
Il est dans son âme,
Comme un animal.
Le monde parle dans sa joie,
Et la vie parle dans son cri.
La vie le possède et l’habite.
Il est au centre de lui-même,
Ne connaît que rires et larmes.
Il écoute les signes du monde,
Qui sont pour lui autant de mystères.
Il mime parfois nos tristes attitudes,
Il révèle à nos yeux notre enfermement.
Il ne connaît pas les convenances,
Il est comme un miroir de jouvence.

Amour-monde

Je suis au monde, enfin
Libre des hommes et des mots.
Libre et heureux, riche de rien.
Ignorants du vrai et du faux.

Mon corps est un océan.
Le ciel infini mon esprit.
Brûlant d’un soleil au cœur.
Mes pieds des racines en terre.

Par de minces fils de lumière,
Fière et flamboyante chevelure,
Mon esprit se confond à l’éther,
Harmonie, connaissance pure.

Dire n’a pas d’importance,
J’oublis tout ce que j’ai appris.
Je dois juste savoir la patience,
Pour couler doucement dans la nuit.


Des passions du corps je n’ai cure,
Encore moins des dogmes de la science.
Je veux être de pensée pure,
Serein voyageur en partance.

Ebloui d’un rêve romantique
En quête d’un ego authentique,
Je m’endors, me livrant au courant,
Dans le fleuve tranquille du temps.


Chœurs : KHRONOS premier

Le temps est comme une chanson, il berce, il enjôle, il charme, il hypnotise et, sans surprise, il se termine.
Le temps commence et fini. En tout cas pour nous, pour moi.
Nous l'imaginons...
Il a deux extrémités qui disparaissent dans l'ombre d’un tunnel.
Il est comme une ligne parfaite sur laquelle nous plaçons des repères. Les premiers et les derniers "quelque chose": une émotion, un malheur, un verrou cassé, une femme délicieuse, une femme mauvaise, un mépris, une gaffe, un espoir, une perte, un événement qui fit changer la couleur du jour, le ton de la conversation.
Nous l'imaginons comme un tas de cubes qui s'amoncellent de jour en jour, jour après jour. Il monte, il devient lourd. Alors il s'écroule, en vrac, informe, sur le sol, lui même constitué de cubes semblables. Les cubes se mélangent, s’ordonnent et l'érection reprend, sans états d’âmes, sans bruit.
Le temps est con et jusqu’au-boutiste. Il veut toujours avoir le dernier mot.
Le temps est comme une vieille femme laide, sans enfant, stérile, célibataire, égoïste, bête et méchante, et qui regrette de ne pas avoir su donner sa vie.
Le temps...
Il est comme une onde dont nous modifions constamment l'amplitude. Nous le créons, nous en sommes les maîtres ignorants.
Pouvons nous l'arrêter ?
Pouvons nous l'oublier ?
Et lui, nous oubliera t’il ?

Chœurs : KHRONOS deuxième

Le temps a des yeux de requin. Il est froid, méthodique, simpliste et affamé.
Il dévore sans distinction: homme, chose et pensée.
Il engouffre mécaniquement.
Il digère.
Il ne connaît pas le doute.
Le temps est un monstre aveugle et sourd.
C'est un serial killer...
Le temps est pur, cristallin, un tissu uniforme d'une essence parfaitement homogène.
Le temps n'a ni début, ni fin.
Le temps n'a ni naissance, ni mort.
Le temps est circulaire.
Le temps ne change pas.
Le temps ne vieillit pas.
Le temps ne subit aucune usure.
Il ne connaît aucune fatigue.
Le temps est un mouvement perpétuel.
Le temps est un mouvement circulaire.
Le temps est comme un grand sablier contenant un unique grain de sable. Ce sablier tourne en permanence sur lui même de sorte que le grain de sable se balance entre les deux réservoirs sans jamais en toucher le fond. Il oscille lentement, il flotte.
Il est comme un mouvement inachevé,
Comme un geste qui ne trouve pas d'aboutissement,
Comme une chute infinie,
Comme une promesse jamais réalisée,
Comme une prédiction jamais accomplie.
Le temps n’a que faire du malheur ou du bonheur des hommes, et rien ni personne ne peut lui échapper.
Le temps existe partout en même temps.
Le temps est immobile.
Le temps est un cercle...

Chœurs : KHRONOS troisième

Rythme et rotation
Rotation des galaxies
Rotation des planètes
Rotation des comètes
Rythme des saisons
Rythme du jour et de la nuit
Rythme de la naissance et de la mort.
Le cercle, encore et toujours. Unique, basique, imbriqué, comme les immenses rouages d'une horloge démesurée. La mécanique céleste glisse dans le silence du vide. Les cycles sont eux mêmes asservis par de plus longs cycles qui trouvent leur aboutissement dans des alignements, des oppositions, des quadratures et toutes sortes de points d'appui qui synchronise et relance le mouvement.
Le tissu dense de l'espace-temps se déforme, se tort, parcouru de lignes de force. Il est comme la surface d'une eau séparant matière/émersion et anti-matière/immersion.
La trame du temps s’entremêle à la trame du néant comme un mode de l’être.
Monde matière en émergence et Attracteur étrange immergé.
Les êtres flottent entre ces deux états, par dessus et par dessous. Seule, la nature de leur manifestation décide de quel coté du miroir ils apparaissent. Ils peuvent ainsi osciller entre deux états/réalités en opposition de phase. Ils sont comme un objet virtuel pouvant successivement et simultanément, devenir eux même ou leur reflet.
La grande horloge cosmique tourne imperturbablement, parfaite modélisation du compte et du décompte du temps. Cercles dans les cercles. Rondes de fractales circulaires, ensembles et sous ensembles, champs infinis incluant d’autres champs infinis, découpages sans limite, empreintes inaltérables des innombrables fractions du temps.
Saurons nous lire l'heure avant que vienne la dernière ?
Les aiguilles de la grande horloge cosmique nous indiquent une chose trouble, encore dans l’obscurité.
Elle seule peut nous donner le nom-sens de cet instant unique et déjà passé, cet instant déjà mort avant d'être né.


Je suis un être immortel.

Mais j’ignore presque tout de mon passé.
La vie qui est en moi, est passée par des milliers de formes au cours des ages.
Des milliers de créatures forment une chaîne ininterrompue qui me relie à la première cellule vivante. Aucunes de ces créatures n’étaient moi car elles n’avaient pas les gènes qui me rendent unique, ni ma mémoire, courte fenêtre sur une brève et aveugle existence. Mais la merveilleuse et incommensurable mécanique vitale a aboutie à moi.

Je suis le résultat, l’unique extrémité d’un rameau, l’aboutissement du parcours millénaire de l’Etre de vie, qui remonte dans la nuit du temps comme une traîné de feu sur le buisson inextricable des générations.

Cet Etre de vie, entité sans nom, a pris toutes les formes de sa perpétuation, car la vie est un flux qui ne se rompt qu’avec la mort du porteur-gardien-géniteur qui n’a pas transmis la flamme invisible au suivant.

Comme il est vertigineux de penser que cette vie apparue dans les océans selon un processus encore obscur, il y a des milliards d’années, est encore aujourd’hui en moi pour quelques temps.

Quatre vingt milliard d’humains sont déjà mort avant moi. Il faut croire que le sol de cette planète n’est constitué que de cendres et de restes de cadavres humains. Combien sont mort avant d’avoir vécu, nouveaux nés dans leurs premiers jours, enfants, terrassés par les maladies, broyés par les guerres ? Combien d’hommes sont morts sur les champs de bataille dans de gigantesques holocaustes en l’honneur de Thanatos ?

Moi, seul aujourd’hui, parmi des milliards d’autres, au terme d’une longue vie, sans violence ou presque, sans souffrance ou presque, sans amour ou presque, sans même être sûr du souvenir d’une vraie joie, mais que sont mes souvenirs à présent, je contemple ceux qui vécurent avant moi et ceux qui restent après moi en me disant que j’ai eu une bonne vie.

Le hasard m’a fait naître au bon endroit et au bon moment. Merci le hasard. Merci quel que soit ton nom et même si mon merci ne te parvient pas ou n’a aucun sens pour toi. Merci la vie pour tous tes bienfaits, car il me semble à présent que tu n’es que bienfaits. Merci pour le tourment, merci pour la nausée, merci pour les soucis, merci pour l’inquiétude et aussi merci pour le soleil, pour la pluie, pour l’océan, pour le vent sur mon visage et dans ses cheveux. Merci pour ce monde incroyable, merci pour cette brève et longue vie…

L’existence résiste à toutes les logiques,
Un tel événement était imprévisible,
Nos moyens dialectiques, scientifiques et techniques,
Attendent prudemment au seuil de l’impossible.

Etre dans ce nulle part, ici et maintenant,
Dépasse nos concepts les plus extravagants,
Nous avons oublié, prosélytes arrogants,
Que l’Etre est un mystère et un enchantement.

La vie reste, pour moi, un grand étonnement,
Et malgré la routine, l’habitude et les ans,
Son génie créatif m’inspire et me surprend.

La mort viendra souffler la lueur de conscience,
Qui faisait de ma vie plus que simple présence,
Effaçant toutes traces de mon existence.

De quoi sommes nous sûrs dans ce monde trop grands ?
Sinon d’être aveugles, stupides et ignorants.
Pouvons-nous deviner l’étendue des possibles ?
Nous qui sommes immergés dans un être intangible.

Et si la vie entière était un jeu d’optique,
Au cœur d’une entité en transe extatique,
Nous serions enfermés dans un charme magique
Sans savoir ce que valent nos efforts pragmatiques.


Etais-je avant de naître ?
Serai-je après ma mort ?
Cette énigme, je le crains, est pour longtemps encore,
Le trouble de la vie, un doute qui dévore.

Tous cela fait à présent partie du passé. L’heure est à la mort.

Seul. Seul. Je reste seul.

Seras-tu près de moi quand je glisserai à travers le trou minuscule qui relie les deux mondes ?
Même si tu es là, je serais seul. Seul à jamais.
Mais je préférerais que tu sois là…
Lui, sera là…

Le crucifié me guette dans l’ombre, il attend son heure, il attend son homme. Il sait qu’il ne restera que sa main tendue au moment ultime et il sait aussi que je la saisirai contre tout ce que je prenais pour des convictions.
Oui, je veux que tu existes.
Oui, je crois en toi.
Oui, rien n’aurait de sens si vraiment je devais disparaître en ne laissant que quelques traces, presque des salissures, bien vite nettoyées.

Christ hurlant sur sa croix : « Père, père, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Mère, toi qui me donnas la vie, sais-tu qui me la reprend aujourd’hui ?

Christ mourrant sur la croix au sommet du Golgotha, comme un poignard planté pour la reste des temps dans le cœur des hommes.

Tu es la seule image qui me reste pour ce dernier instant dans lequel je plante et je casse mes ongles.

Elle approche, elle est là…

Le temps me disloque
Le temps te disloque

Prisonnier de tranchants fils d'acier
Glaciale toile d'araignée
Patin servile et maladroit
Danses ton rythme endiablé.

Et dans mon cœur, une chanson.
Une voix d'enfant incertaine.
Tremblante, vacillante et pure,
Comme une petite flamme,
Sur le néant obscur.

Les deux pieds dans un bloc de béton
Je m'enfonce tout droit vers le fond.
Martyre silencieux, muet pour jamais
Etouffe ton cri, ravale tes larmes,
Ton âme grise hurle au néant.

Le compte à rebours,
Jamais ne s'arrête.
Les grains de sable,
Glissent un à un.

Avance, bras tendus dans l'obscurité.
Sans savoir ou se pose tes pieds.
Le cerveau meurtri par tes yeux aveuglés
Donne ton sang et meurt sans broncher.

La trotteuse tourne,
Sans fatigue.
Tes yeux se cernent,
Tes mains se plissent.

Vautre-toi dans la terre,
Plonge tes griffes dans tes entrailles,
Tranche tes membres, brûle tes yeux.
Enfonce-toi dans la mort,
Et rends ce qui fut donné.

Pleure des larmes brûlantes,
Vomis ton sang, ton désespoir,
Enfonce tes ongles douloureux
Dans l'image de ceux que tu aimes.
Tu perds pied, tu te disloques.

Et dans mon cœur, une chanson.
Une voix d'enfant incertaine.
Tremblante, vacillante et pure,
Comme une petite flamme,
Sur le néant obscur.


Vivre sans espoir
Vivre dans le doute.
Epuiser les grimoires
Passer, coûte que coûte.


Glisse sur la tangente
Mort-sifflement stridente
Dans une lumière moite, inversée
Disparaît l'âme chimique, fragmentée.


Donne-moi ta rage
De n'être rien
Donne-moi ton mépris
Du genre humain.


Et lâche enfin les faux espoirs
Les mensonges qu'on t'as fait croire
Retourne en riant à la fange
Et peut-être seras-tu un ange.


Enfin, je hurle les non-dits
En tournant le dos à la vie
Nous redeviendrons des poussières
D’étoiles, de neige ou de bien de fer.
Le monde est un cimetière,
Un paradis et un enfer.


Inhale l'odeur enivrante
De la fleur immortelle de vie
Superbe, pure, triomphante
Qui pousse sur la chair meurtrie.


Et dans mon cœur, une chanson.
Une voix d'enfant incertaine.
Tremblante, vacillante et pure,
Comme une petite flamme,
Sur le néant obscur.


" Je longeais le chemin avec deux amis - c'est alors que le soleil se coucha- le ciel devint tout à coup rouge couleur de sang - je m'arrêtai, m'adossai épuisé à mort contre une barrière - le fjord d'un noir bleuté et la ville étaient inondés de sang et ravagés par des langues de feu - mes amis poursuivirent leur chemin, tandis que je tremblais encore d'angoisse – et je sentis que la nature était traversée par un long cri infini".

(Munch-la genèse du cri)

Ce spectacle peut être exécuté par trois acteurs représentant chacun une des instances de la psyché du personnage unique qui s’exprime dans cette histoire.

Ces instances changent progressivement au cours de l’histoire. Mais en règle générale elles sont : l’une plutôt rationaliste scientifique et pragmatique à la recherche de la vérité du monde et l’autre spiritualiste et métaphysique à la recherche de la magie du monde. La troisième instance est au dessus des deux autres. C’est une sorte de voix divine, désincarnée, un surmoi qui remonte des strates les plus profondes pour faire une synthèse des idées essentielles.

Le spectacle peut aussi être joué par un seul acteur qui serait capable d’incarner alternativement les trois instances.

Ou encore sous forme de spectacle de marionnettes portant des masques mêlant le noir et le blanc exprimant les mélanges successifs qui interviennent dans les pensées du personnage.